Le rachat des RTT, nouvelle attaque contre le modèle social français
Se faire racheter ses RTT non prises en toute simplicité, voilà qui peut paraître bien séduisant. Face à l’inflation, il y a de quoi préférer remplir son porte-monnaie plutôt que de se reposer. Et donc se laisser tenter par la mesure adoptée le 4 août dans le cadre de la loi de finances rectificative pour soutenir le pouvoir d’achat.
La monétisation de ces journées était déjà permise par accord collectif, pour les salariés en forfait jours, les titulaires d’un compte épargne-temps ou encore dans les rares cas où ils ne pouvaient les prendre du fait de l’employeur. Désormais, les salariés du secteur privé – les fonctionnaires en sont exclus – pourront demander le paiement de tout ou partie de leurs RTT acquises en 2022, et ce jusqu’en 2025.
Peu de travailleurs concernés
Reste que cette nouvelle possibilité ne devrait pas renverser la table ni concerner un grand nombre de travailleurs. En effet, encore faut-il disposer de ces précieuses journées négociées en contrepartie d’une durée du travail excédant 35 heures par semaine… En 2011, un peu moins de la moitié des salariés (45 %) avaient la chance d’en avoir. Et seuls 15 % d’entre eux sont en forfait jours, des cadres de grosses entreprises essentiellement, mais aussi des salariés dits « autonomes ». Ce sont eux qui en seront les principaux bénéficiaires.
Certaines directions feront donc de savants arbitrages pour savoir s’il convient de recourir aux heures supplémentaires ou d’écluser le solde des RTT non prises
Selon une étude du ministère du Travail, les cadres et professions intermédiaires affichaient, en 2015, 33 jours de congés payés et de RTT par an au compteur (sachant que tout salarié a droit au minimum à 25 jours de congés payés) quand les employés et ouvriers non qualifiés n’en comptaient que 26. Dommage pour les fins de mois du salarié moyen. Et on ne parle même pas des indépendants, agriculteurs et autres professions qui regardent passer le train des RTT.
Obstacle supplémentaire, l’accord de l’employeur reste nécessaire pour monétiser ces journées. Toutes les entreprises ne seront pas enclines à débourser ces heures majorées de 10 % a minima. Celles qui ne disposent pas d’un accord leur permettant d’abaisser la majoration des heures supplémentaires jusqu’à ce seuil plancher prévu par la loi – flexibilité offerte par la loi El Khomri de 2016 et les ordonnances Macron de 2017 – doivent encore payer les huit premières heures à hauteur de 25 % (50 % pour les suivantes).
Certaines directions feront donc de savants arbitrages pour savoir s’il convient de recourir aux heures supplémentaires ou d’écluser le solde des RTT non prises. Pour d’autres enfin, ce sera fromage et dessert : rien n’empêchera les salariés de travailler plus en renonçant à la fois à leurs jours de congé et en alignant les heures sup dont le quota reste inchangé à 220 heures par an au maximum. Tant pis pour les risques psychosociaux.
Nouveau clou sur le cercueil des 35 heures
En l’absence de dialogue social protecteur, les accords de gré à gré et les effets d’aubaine pourraient se multiplier, la monétisation des RTT faisant alors office de hausse de salaire, au même titre que la prime Macron. Et en attendant, le modèle social continue de toujours moins reposer sur les cotisations sociales et d’être toujours plus financé par des taxes diverses.
Le rachat de RTT est désocialisé et défiscalisé dans la limite de 7 500 euros
Grosse différence avec les possibilités de monétisation antérieures, le rachat de RTT est en effet désocialisé (salariés et employeurs ne paient pas de cotisation) et défiscalisé (il n’est pas soumis à l’impôt sur le revenu) dans la limite de 7 500 euros.
Dans ce paquet de mesures d’urgence, la défiscalisation des heures sup grimpe au passage de 5 000 euros à 7 500 euros. La perte de recettes pour l’Etat et les caisses de Sécurité sociale provoquée par ces futurs rachats de RTT est censée être compensée par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs.
Même à portée limitée, le dispositif est enfin un nouveau clou planté dans le cercueil des 35 heures. Deux ans après l’entrée en vigueur de ces dernières en 2000, les premiers coups de canif ont commencé par un accroissement du contingent d’heures supplémentaires.
Cette stratégie d’évitement de la loi s’est poursuivie au sécateur. La durée du travail est devenue le terrain de jeu favori des partisans d’un code du travail assoupli. Que ce soit par le biais des heures sup défiscalisées – le « travailler plus pour gagner plus » sarkozyste –, mais surtout par pléthore d’accords dérogatoires pour organiser le temps de travail à la main des entreprises. Jusqu’aux récents accords de performance collectifs qui permettent d’augmenter les heures mais pas les salaires.
Cette dernière tentative pour travailler plus ne servira sans doute pas à grand-chose, sauf à affaiblir le système social, à individualiser toujours plus les relations de travail et à éviter comme la peste le sujet central des augmentations pérennes pour tous. Un trois-en-un stérile.
Laisser un commentaire