Les chiffres alarmants de l’insécurité en France
Dans le moment politique de grande confusion que traverse la France, la bataille des récits fait rage et les mots sont trop souvent abandonnés à l’écosystème xénophobe qui s’est développé entre la presse écrite partisane, les chaînes de déformation en continu et les réseaux asociaux.
L’insécurité est, dans une acception neutre, l’inquiétude face à un danger. Dans un Etat de droit, le caractère réel ou non du danger en question est la clé de la légitimité des politiques publiques visant à lutter contre l’insécurité. Quels dangers menacent donc réellement la vie des Français(e)s ?
Une enquête extrêmement précise, qui compte un quart de siècle de données minutieuses et vient tout juste d’être actualisée, permet de le savoir : le Global Burden of disease (littéralement « le fardeau mondial de la maladie »). A l’aide d’une interface remarquable, on peut ainsi accéder à près de trente ans de données sur les causes des décès en France et les risques qui y menacent l’existence des personnes. Pour chaque mort, une cause unique (regroupées en trois grandes catégories : les maladies chroniques, les maladies infectieuses et les blessures) et, pour chaque mort prématuré, un facteur de risque identifié (il en existe trois principaux : les risques métaboliques, les risques comportementaux et les risques environnementaux).
Premier constat : l’insécurité, comprise comme menace sur la vie, progresse en France. Après avoir baissé de 889 pour 100 000 habitants en 1990 à 833 en 2014, le taux de mortalité est reparti fortement à la hausse depuis pour atteindre 911 en 2019, hors Covid donc. Une hausse de près de 10 % en seulement quelques années, un pic sans équivalent depuis vingt-cinq ans et dont aucun thuriféraire de la sécurité ne s’émeut.
Même évolution pour les facteurs de risque qui déterminent les décès prématurés : ils baissent de 505 pour 100 000 habitants en 1990 à 439 en 2014 pour repartir ensuite à la hausse et atteindre 474 en 2019 (leur niveau de 2002).
Comment expliquer l’évolution inquiétante des taux de mortalité dans la période récente ? Principalement par la hausse des maladies cardiovasculaires, des néoplasmes (tumeurs), des diabètes et maladies du foie et des maladies neurologiques, autrement dit et sans surprise, par la progression inexorable des maladies chroniques qui font des ravages croissants en France, comme dans les autres pays dits développés (pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, selon l’OMS, au niveau mondial, la malnutrition tue davantage que la sous-nutrition).
Un déni de réalité intéressé
Cet état de santé préoccupant de la population française a certainement contribué à la vulnérabilité sanitaire de la population face au Covid, dont la troisième vague qui s’achève aura été la plus meurtrière avec 45 000 décès (contre 30 000 pour la première et 35 000 pour la deuxième). Toutes ces pathologies chroniques, dont un certain nombre directement liées à la qualité de l’environnement (comme la dégradation des voies respiratoires sous l’effet de la pollution de l’air, l’obésité ou le diabète) sont des comorbidités potentiellement létales face à un processus morbide aussi foudroyant que le Covid-19.
Les violences interpersonnelles qui menacent la sécurité physique des gens représentent 0,089 % des décès totaux, en baisse par rapport à 2014
Quel rôle jouent dans le tableau français les violences interpersonnelles qui menacent la sécurité physique des gens, danger qui, de fait, dans le débat public, représente à lui seul 100 % des commentaires, articles, vidéos et émissions consacrés à l’insécurité ? Exactement 0,089 % des décès totaux, en baisse par rapport à 2014, où ces violences étaient à l’origine de 0,094 % des décès, en nette baisse par rapport à 1990 (0,2 % des décès totaux).
Par comparaison, l’exposition à des températures extrêmes représente une menace 3,5 fois plus importante, les suicides représentent un danger 20 fois plus important (1,8 % des décès totaux), les chutes représentent un danger 33 fois plus important pour la sécurité des personnes, les attaques cardiaques représentent un danger 83 fois plus important.
Cette distorsion de la réalité n’a rien à voir avec une tournure d’esprit particulière à la France, ni avec un trait anthropologique ancestral. C’est un déni de réalité intéressé.
Non, la diversité bien réelle de la population française (à 20 % immigrée ou de descendance immigrée) n’a aucunement conduit au cours des vingt-cinq dernières années, ni des dix dernières années, ni des cinq dernières années, à une montée des violences interpersonnelles qui menacerait la douceur de vivre, bien au contraire.
Non, la menace la plus grave qui pèse sur la vie des personnes en France n’est pas la violence des autres, c’est la brutalité des conditions d’existence, l’inégalité devant l’accès aux soins préventifs et curatifs et la négligence des pouvoirs publics face à l’épidémie de maladies chroniques et d’isolement social.
Non, réduire l’insécurité en France aux violences interpersonnelles n’est ni le signe de la lucidité, ni la marque du réalisme : c’est une posture idéologique, coupable et, en dernier ressort, illusoire.
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