Les ego boursouflés à l’assaut du bien commun
Politiques, experts, toutologues, ils saturent l’espace public
A quoi sert la sagesse dans un monde qui va vers la folie ? lit-on dans une bande dessinée. A pas grand chose semble-t-il. Cette course vers la folie est précipitée par des personnages qui investissent et confisquent l’espace public pour gonfler leurs ego. A détriment donc du bien commun.
À écouter Emmanuel Macron et les ministres du gouvernement, tout va pour le mieux. Nous volons de victoires en victoires, de réussites en explosions de joie et de fierté. Ne sommes-nous pas les champions de l’économie, les organisateurs des Jeux Olympiques, la cathédrale Notre-Dame n’est elle pas en passe d’être reconstruite ? Cette pensée paralogique, c’est à dire une construction intellectuelle juste mais basée sur des prémisses fausses, masque une réalité bien plus triste.
La société française n’a jamais été parfaite. Le propos n’est pas de plonger dans une forme de nostalgie sur l’air de « c’était mieux avant ». Mais tout de même…
Les politiques ont depuis longtemps abandonné leur dernier pouvoir : celui de fabriquer la loi et de l’imposer aux divers secteurs qui composent notre société. Le « vivre-ensemble » suppose que chacun se plie à des règles communes qui protègent tout le monde. C’est un contrat social. Un renoncement aux droits ou aux envies individuelles au profit du bien commun, de l’intérêt général. Ils ont choisi, délibérément, de servir des intérêts individuels et de créer des lois qui répondent aux besoins de quelques uns, au détriment des autres. Et n’allez pas le leur faire remarquer. Si vous le faites dans la rue, vous subirez les foudres de la force publique. Si vous le faites poliment, ils vous rétorqueront que s’ils ne l’avaient pas fait, d’autres l’auraient fait. La fameuse théorie du dealer : « oui, je deale devant l’école, mais ma drogue est de bonne qualité, si ce n’était pas moi, ce serait un autre avec un produit peut-être frelaté ». Les autres pays le font, alors pourquoi pas nous, il faut rester « compétitifs », vous diront-ils tout sourire.
Il ne faut toutefois pas se tromper. Si les apparences laissent penser que c’est une opposition entre riches et pauvres, il s’agit en fait de la mise en place d’un système où les plus gros requins tirent les marrons du feu tandis que tous les autres se répartissent les miettes, qu’il s’agisse d’avantages financiers, de pouvoir, d’honneurs, peu importe. Pour ceux qui sont en haut de la pyramide, ce sont des miettes. Pour ceux qui sont en bas, cela peut représenter beaucoup, en revanche.
La faute originelle de la gauche
On parle souvent d’une financiarisation du monde, de marchés de biens totalement immatériels, souvent des produits financiers complexes qui ont pris le pas sur l’économie réelle.
En France, cela a débuté en 1986 quand Jean-Charles Naouri (à la Une ces temps-ci avec la chute du groupe Casino) et le premier ministre Pierre Bérégovoy décident de la mise en place d’un marché à terme, le MATIF, où se traiteront des produits dérivés. C’est donc un gouvernement de gauche qui lance la financiarisation de l’économie française.
Le monde de la finance sait bien, lui, à l’inverse des citoyens, qu’en matière de profits mirobolants, il n’y a pas de gauche et pas de droite, il n’y a que des hommes et des femmes qui servent des intérêts (ou pas).
Cette financiarisation est au coeur de tous les changements sociétaux. Cela ne se voit pas toujours mais parfois, c’est très clair.
Par exemple, depuis un peu plus de trente ans, les banques et les assurances militent pour une retraite par capitalisation qui remplacerait ou s’accolerait au système français dit « [par répartition](https://fr.wikipedia.org/wiki/Retraiteparr%C3%A9partition). » L’expérience allemande a montré que c’est une catastrophe. Mais qu’importe, elles attendent patiemment que les politiques leur ouvrent la voie par la loi, comme ils l’ont fait pour tous les produits financiers complexes qui ont généré tant de bulles et tant de crises financières. Celles-ci se transformant toujours in fine en crise économique qui affecte l’économie réelle, c’est à dire les plus pauvres et les plus fragiles. Ces crises, ce sont les contribuables qui les payent, soit par une hausse dramatique du chômage, soit par des hausses d’impôts. C’est ce que l’on appelle la privatisation des profits et la nationalisation des pertes.
Les attaques des différents gouvernements des présidences Macron contre le système social mis en place par le Conseil national de la résistance (CNR) ne sont qu’une forme de continuité depuis 1986. Elles reflètent l’inféodation des politiques au secteur financier. Le seul secteur économique où les acteurs ne font quasiment jamais faillite. Les seuls à pouvoir être rattrapés au vol par les cheveux lorsqu’ils crient « risque systémique ». Et quand ils sont rattrapés au vol, c’est par l’État, donc les contribuables… Moins de moyens pour les hôpitaux, une justice exsangue, réduction des aides pour les plus démunis, réduction des prestations pour le chômage, allongement du temps de travail et donc réduction du temps de retraite ou de « reste à vivre », la liste s’allonge de jour en jour. Pour quelle raison ? La copropriété est elle bien gérée ? Quelqu’un a fait un audit sérieux pour mesurer les aides aux plus riches et les aides aux plus pauvre ? Qu’est-il arrivé à notre modèle social et pourquoi ?
Évidemment, grignoter toujours au même endroit, c’est à dire sur le dos des plus faibles, cela finit par se voir. Or, il y a un précédent dans ce pays qui reste dans les esprits : la révolution de 1789. Dès lors, la violence de la répression contre toute contestation sociale, que ce soit lors de la crise des gilets jaunes ou de la lutte contre la réforme des retraites s’explique assez facilement. Il faut à tout prix empêcher les gueux de s’opposer efficacement à la bonne marche des affaires, les empêcher de remettre en cause sérieusement le modèle sociétal. Pire, ils faut faire en sorte qu’ils ne puissent plus freiner la casse sociale. Ici, le partage des richesses, même inéquitablement, n’est plus accepté par ceux à qui les plus fragiles ont délégué leur pouvoir. Ils veulent tout.
Ego mon bel ego
Dans ce contexte, observer les hommes et femmes politiques se comporter comme des paons, se rengorger, gonflés de leur propre importance, semble assez pathétique. La mondialisation et donc l’interconnexion des pays, l’apparition de l’armement nucléaire qui peut réduire en cendres la planète, ont rebattu les cartes. Le pouvoir des politiques est désormais quasiment nul. Il ne leur restait que celui de faire la loi, ils l’ont abandonné. Car il suffirait d’un accord entre les pays du G7 pour désarmer les marchés financiers et redonner un coup de fouet à l’économie réelle.
Cela ne les empêche pas de faire preuve d’un ego démesuré. Les déclarations des uns et des autres se ressemblent, qu’ils soient de gauche ou de droite, d’extrême-gauche ou d’extrême-droite : « Je veux… », « J’assume ! », « J’ai demandé à ce que… ». Moi président, je serai omnipotent et j’imposerai à la multitude mes choix et mes désirs sans que personne ne puisse y trouver à redire ?
Etrangement, il se trouve tout un écosystème qui permet à tous ces hommes et femmes politiques de gonfler indéfiniment leurs ego. Des « commentateurs », des « experts », des « toutologues » analysent leurs moindres mots, leurs décisions, donnent e l’importance à leurs actions en les commentant au fil de l’eau. Des journalistes leur servent de faire-valoir dans des interview en direct où les politiques assènent des chiffres invérifiables comme arguments d’autorité.
Et tous se pavanent : les uns parce qu’ils ont (croient-ils) « le pouvoir », les autres parce qu’ils le côtoient.
Il y a un passage dans le Petit Prince d’Antoine de Saint-Exupéry qui résume l’inanité de tout cela :
Je connais une planète où il y a un Monsieur cramoisi. Il n’a jamais respiré une fleur. Il n’a jamais regardé une étoile. Il n’a jamais aimé personne. I] n’a jamais rien fait d’autre que des additions. Et toute la journée il répète comme toi : « Je suis un homme sérieux! Je suis un homme sérieux! » et ça le fait gonfler d’orgueil. Mais ce n’est pas un homme, c’est un champignon !
Que tous les champignons s’enorgueillissent de se penser si importants, passe encore. Ce qui est plus curieux, c’est que les citoyens continuent de les élire, de leur déléguer leur pouvoir sans rien obtenir en contrepartie, au contraire. Et plus le temps passe, plus les champignons se révèlent être médiocres, parfois même incapables. C’est le cas du ministre des finances qui vient d’annoncer un constat d’échec total et qui se fait étriller par la Cour des comptes. C’est le cas de l’ancien ministre de l’éducation dont la réforme a fait chuter de moitié les effectifs des bacheliers scientifiques de la voie générale du lycée. Après les déserts médicaux, les déserts d’ingénieurs. Après Oui-Oui fait de la finance, Oui-Oui fait une réforme de l’éducation. Ne parlons pas de Oui-Oui fait de la diplomatie ou Oui-Oui fait la police…
On se perd même en conjectures quand une ministre confond devant les députés « jeter l’opprobre » et « jeter l’eau propre » tout en disant espérer sincèrement que les mots d’une députée ont « dépassé ses propos ». En klaxonnant ? Quelles sont les qualités de ces politiques pour diriger le pays, s’ils ne sont même pas capables de s’exprimer correctement ? La pensée précède le langage, dit-on. Mais dans ce cas, à quoi ressemble cette pensée ? Un abîme s’ouvre…
Tous pensent qu’ils ont un destin, qu’ils marquent l’Histoire. Il est fort probable pourtant que dans une petite centaine d’année, plus personne ne se souvienne de leurs noms. Comme nous ne nous souvenons pas de ceux de milliers de leurs prédécesseurs.
Laisser un commentaire