« Les Jeunes amants », une histoire d’amour peu courante au cinéma
Son histoire, c’est celle d’une certaine Shauna, une femme de 70 ans, interprétée ici par Fanny Ardant, qui, après avoir longtemps mis sa vie sentimentale, amoureuse et sexuelle sur pause, tombe sous le charme d’un homme, Pierre, joué par Melvil Poupaud. Ce dernier est marié, il a deux enfants. Mais surtout, il est plus jeune qu’elle, il a 45 ans.
Leur rencontre est inattendue. Le coup de foudre, lui, n’est pas immédiat. Et pour cause, l’âge fait barrière. De son côté à elle, surtout. Qu’est-ce un homme de son âge peut-il lui trouver? Qu’est-ce que les gens vont-ils pouvoir penser? Enfin, est-ce bien raisonnable de prendre le risque de tomber amoureuse, de vivre une nouvelle passion et, peut-être, d’en être déçue, meurtrie et affaiblie à cet âge “avancé”?
Les étiquettes sociales
Le poids des étiquettes sociales est pour beaucoup dans ces questionnements. Dans Les Jeunes amants, le rire moqueur de la femme de Pierre quand il lui apprend l’âge de sa maîtresse peut en témoigner. La colère de son ami, selon qui Shauna est pour lui “comme une mère”, aussi. Pourtant, nous dit Melvil Poupaud, “il n’y a aucune raison pour qu’une femme de 70 ans n’ait pas des désirs charnels. Il n’y a aucune raison pour qu’un mec de 45 ans ne tombe pas amoureux d’une femme de 70 ans.”
Découvrez ci-dessous la bande-annonce du film “Les Jeunes amants”
L’acteur de 49 ans n’a pas tort. Dans la vie de tous les jours, les couples hétérosexuels dits “intergénérationnels”, au sein desquels la femme est plus âgée que l’homme, sont ordinaires, même si les stigmatisations perdurent. “Ma mère a toujours eu des histoires avec des hommes plus jeunes, nous confie-t-il. Puis après, avec des femmes plus jeunes. Pour moi, l’idée d’aimer qui l’on voulait n’a jamais été un sujet.”
Au cinéma, non plus. Combien de récits d’amour comme celui-ci, le septième art français a-t-il produit? Suspens. En matière de différence d’âge, c’est souvent l’inverse qui est montré. “L’homme est toujours plus âgé, rappelle Carine Tardieu. D’ailleurs, on ne dit jamais qu’il s’agit d’une histoire d’amour entre un homme plus âgé et une femme plus jeune puisque, de toute façon, c’est comme ça que ça marche à l’écran.”
Des exemples à la pelle
Le dernier film d’Arnaud Desplechin Tromperie, dans lequel toutes les maîtresses du personnage joué par Denis Podalydès sont plus jeunes que lui, est un bon exemple. Le biopic à l’eau de rose sur Gustave Eiffel, mettant en scène Romain Duris (47 ans) et Emma Mackey (26 ans), aussi.
Le problème n’est pas propre au cinéma français. Hollywood choisit souvent des actrices nettement plus jeunes que leur personnage, comme Carey Mulligan (36 ans) dans The Dig, un film Netflix dans lequel elle incarne le rôle d’Édith Pretty, une femme de 56 ans. Dans Alexandre d’Oliver Stone, Angelina Jolie a, elle, campé le rôle de la mère du héros. Elle n’avait pourtant qu’un an d’écart avec son interprète dans la vraie vie, Colin Farrell.
Plus récemment, l’annonce du choix de Jodie Comer (28 ans) pour interpréter Josephine de Beauharnais, mariée à l’âge de 33 ans à l’empereur Napoléon Bonaparte, dans Kitbag de Ridley Scott, a soulevé de nombreuses critiques. Et pour cause, son époux dans le film, Joaquin Phoenix, a 47 ans dans la vraie vie. Le souverain en avait 27 le jour du mariage. Pour des raisons d’agenda, Jodie Comer a dû décliner le rôle. C’est Vanessa Kirby qui doit la remplacer. Elle a 33 ans.
“La vie, ce n’est pas ça”
Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Seuls 8% des rôles ont été attribués à des femmes de plus de 50 ans. C’est deux fois moins qu’à des hommes de la même tranche d’âge, sur l’ensemble des films français de 2019. En proportion, elles sont aussi beaucoup moins présentes à l’écran que dans la société.
Alors oui, il y a bien quelques stars, comme Catherine Deneuve ou Isabelle Huppert, qui n’ont jamais manqué de rôles, mais elles sont “l’arbre qui cache la forêt”, comme l’a dénoncé, en 2021, l’actrice Catherine Piffaretti, membre du “Tunnel de la comédienne de 50 ans”, un collectif qui oeuvre à une meilleure représentation des femmes âgées à l’écran. Surtout, elles sont souvent cantonnées aux mêmes rôles. Ce sont des mères ou des grands-mères, jamais des amantes.
“Ce n’est pas possible, dénonce Carine Tardieu. La vie, ce n’est pas ça. Je le vois bien autour de moi. J’ai 48 ans. Certes, je suis une mère et une fille, mais j’aspire à être une amoureuse toute ma vie et ce, avec des hommes de tous les âges, ou même des femmes.”
Un film point de départ
Un constat partagé par Melvil Poupaud. “Les clichés sont difficiles à retourner. Ça fait longtemps qu’on imagine que les femmes de 70 ans n’ont plus de vie amoureuse ou sexuelle. C’est très injuste, soupire le comédien. Dans notre société, c’est quelque chose dont on ne parle pas parce que les femmes sont maltraitées et les femmes de 70 ans sont mises au rebut. C’est vraiment dégueulasse.”
Alors même que la représentation des femmes âgées dans la littérature française est plus courante, comme dans L’éducation sentimentale de Flaubert, les choses semblent s’être perdu en route au cinéma. “Il y a encore du boulot, constate Carine Tardieu. Quand on est réalisateur ou réalisatrice, on devrait être un peu volontariste. C’est à nous de faire l’effort quand on fait passer un casting. C’est à nous d’ouvrir le champ, d’ouvrir nos œillères. Quand on cherche quelqu’un pour le rôle d’une amante, il faut qu’on puisse se dire qu’elle peut avoir plus de 55 ans.”
Le message du film est clair, “il dit qu’on a le droit d’aimer qui on veut”, concède Melvil Poupaud. “Ce n’est pas un film militant, mais il est important. Laissez les femmes tranquilles”, poursuit l’acteur. Les Jeunes amants ouvre une brèche. “J’espère juste que j’ai un train d’avance avec ce film, continue sa réalisatrice. J’espère qu’après ça, on pourra filmer une histoire d’amour avec une grande différence d’âge sans que ce soit le sujet.” Les dés sont jetés.
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