Les soignants ne sont pas de simples variables d’ajustement pour l’équilibre financier des hôpitaux – BLOG
La crise hospitalière comme crise économique et morale
Par le retrait, les agents orléanais signifieraient deux choses au sujet de la crise ressentie. D’un côté, la crise hospitalière est bien une crise économique et financière, qu’on peut reconnaître à certains traits quantitatifs comme le manque de lits et de personnel, obligeant les décideurs à trouver des solutions économiques et financières. D’un autre côté, la crise hospitalière et celle vécue par les soignants est bien une crise morale. En s’élargissant à l’humanité du soin, la notion de crise perdrait tout contour matériellement identifiable. Une crise économique se traite économiquement, une crise de l’humanité du soin s’éprouve au cœur des corps soignants, sans possibilité de se résoudre uniquement par des mesures matérielles.
«Si la crise hospitalière nécessite un traitement économique et financier, elle doit d’abord être considérée comme un problème humain et social.»
N’est-ce pas parce que la crise, vécue au sein de ces Urgences, touchait à leur propre humanité – à leur identité de soignants – que les travailleurs d’Orléans, ayant compris que quelque chose n’allait plus dans leur hôpital, que les soins prodigués n’avaient justement plus de sens, qu’ils se sont mis en retrait ? N’est-ce pas parce que leurs propres valeurs professionnelles n’étaient plus respectées, voire bafouées, que ces travailleurs en crise se sont mis en arrêt maladie, parce que malades de mal faire?
Nommer l’innommable du soin dégradé
Edgar Morin précise : « Le mot [crise] sert désormais à nommer l’innommable ; il renvoie à une double béance : béance de notre savoir (au cœur même du terme de crise) ; béance de la réalité sociale elle-même où apparaît la crise ». Nous, travailleurs du soin, ne savons plus soigner, accueillir, consoler, accompagner. Nous ne savons plus quel rôle jouer dans cette institution ressentie comme maltraitante – risquant de nous conduire nous-mêmes de manière maltraitante. Nous ne savons plus quels citoyens nous sommes devenus, non reconnus dans notre travail réel, empêché. Ne pas être reconnu comme acteur de notre propre agir professionnel au sein des hôpitaux conduit à une forme de mésestime de soi détruisant tout désir de poursuivre le travail.
L’innommable est le mot de la crise hospitalière vécue par ces soignants épuisés, dégoûtés, devenus étrangers à eux-mêmes, comme déracinés. En décidant de quitter le service, ils sont devenus à la fois invisibles car absents, et à nouveau visibles en se retirant ensemble des lieux de maltraitance et en publicisant leur geste. Ils ont préféré « ne pas », à la manière de Bartleby du roman de Melville. Pour ne plus subir et se sentir coupables quand un drame survient : la mort sur un brancard de ces services d’Urgences débordés. Ne plus être capable de soigner, voilà la réalité sociale de la crise hospitalière.
L’humanité du soin comme fin et non comme moyen
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Ce n’est qu’à ce prix que la crise hospitalière, dont pour le moment nous ne voyons aucune issue, pourra se résoudre, à moins d’imaginer – cyniquement – que le mal-être des soignants ne regarde qu’eux, bien heureux de profiter des prébendes de la Sécurité sociale quand ils se mettent en arrêt maladie…
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