Les tribunaux verts peuvent-ils sauver la planète ?
Ils n’étaient qu’une poignée avant 2000. Mais en 2016, les tribunaux traitant de l’environnement avaient atteint le nombre de 1 200 dans 44 pays, et de 2 116 dans 67 pays en 2021, selon le Programme des Nations unies pour l’environnement (Pnue). Et, plus significatif, la plupart des plaintes émanent aujourd’hui de citoyens ou d’ONG, qui poursuivent gouvernements et entreprises pour leur inaction climatique.
L’enrichissement récent du droit de l’environnement – renforcé de nouvelles lois et d’accords internationaux – a favorisé cet essor des tribunaux verts et a ouvert la voie à davantage de poursuites. Le nombre de plaintes liées au climat a d’ailleurs plus que doublé en cinq ans, passant de 884 dans 24 tribunaux en 2017 à 2 180 en 2022 dans 65 tribunaux, note le Pnue.
Le fait que le réchauffement global s’amplifie, alors que les émissions mondiales de gaz à effet de serre (GES) ne baissent toujours pas, incite en effet la société civile à « demander des comptes aux gouvernements et au secteur privé », ajoute-t-il. Et si les Etats-Unis cumulent 70 % des plaintes mondiales, les actions s’étendent : 17 % sont recensées dans les pays en développement, notamment de petits Etats insulaires.
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Certains plaignants sont des ONG. Greenpeace, Notre affaire à tous et Oxfam ont ainsi fait condamner la France en 2021 pour ne pas avoir tenu ses engagements de réduction des GES de 2015 à 2018. D’autres sont de simples citoyens, comme les Pakistanais qui ont poursuivi des administrations ayant manqué à leur mission de protéger les forêts. Ou ces Aborigènes qui estimaient leurs droits bafoués par l’inertie climatique de l’Australie, et ont eu gain de cause à l’ONU.
Les craintes de la génération Z
Mais, même réussies, ces poursuites révèlent en creux une certaine forme d’impuissance démocratique : que des citoyens doivent saisir la justice pour rendre les autorités redevables de leur inaction montre qu’ils ne parviennent pas à se faire entendre autrement.
Il n’est d’ailleurs pas anodin qu’un certain nombre de plaintes (34 dans une vingtaine de pays) aient été déposées par des jeunes de moins de 25 ans, une génération très concernée par le réchauffement global, mais peu écoutée, faute de relais politiques.
Elles visent les gouvernements d’une vingtaine de pays, comme les Etats-Unis, le Pakistan (notamment poursuivi par deux fillettes de 7 et 9 ans), l’Inde (par une fillette de 9 ans), l’Allemagne, le Brésil, le Canada, le Mexique ou l’Argentine. En Colombie, des jeunes ont obtenu de la Cour suprême que le gouvernement adopte un plan contre la déforestation de l’Amazonie.
Pour les groupes vulnérables aussi, la justice est le dernier recours afin de faire respecter leur droit à un environnement sain
Pour les groupes vulnérables aussi, la justice est le dernier recours afin de faire respecter leur droit à un environnement sain – aujourd’hui reconnu comme droit humain fondamental – ou d’obtenir la préservation de leurs ressources vitales. En Inde, le Tribunal vert national a ainsi donné à des populations tribales le droit de se prononcer sur des barrages hydroélectriques ou des mines menaçant leurs forêts.
Ce tribunal a également sanctionné de multiples décharges sauvages, abattages d’arbres et pompages illégaux de nappes phréatiques, constructions dans des zones protégées, mines de charbon et exploitations illégales de sable, ou encore atteintes aux espèces végétales et animales protégées.
Il a par ailleurs révélé le déboisement de milliers d’hectares de forêts protégées et la pollution de 351 rivières. En 2022, il a rappelé à l’ordre les organismes publics chargés de protéger le Gange, car en dépit de « trente-sept ans de surveillance », 50 % des rejets domestiques et industriels non traités sur ses berges se déversent toujours dans le fleuve.
Un pouvoir essentiel, mais encore limité
Lire la liste des affaires traitées par les tribunaux, quels que soient le continent ou l’échelle des juridictions, revient d’ailleurs à feuilleter le catalogue mondial des dommages infligés à l’environnement : ils sont autant saisis pour protéger le milieu et la biodiversité locale contre des projets destructeurs que pour attaquer, au niveau international, le manque d’empressement des Etats à agir pour la planète.
Les compagnies pétrolières sont également visées. Dans plusieurs pays, des ONG les poursuivent pour inaction ou pratiques trompeuses. Une trentaine de villes, de comtés et d’Etats américains (New York, Oakland, le Vermont, la Californie…) ont aussi assigné plusieurs groupes (BP, ExxonMobil, Shell, Chevron…) pour leur responsabilité dans les émissions de GES et pour avoir minimisé les risques liés aux énergies fossiles.
Groupes pétroliers et Etats utilisent tous les moyens pour contester ou retarder les procédures
Cette judiciarisation accrue des enjeux climatiques devrait s’amplifier à l’avenir, mais elle ne fait pas toujours avancer la cause des défenseurs de la planète. D’abord, parce que groupes pétroliers et Etats utilisent tous les moyens pour contester ou retarder les procédures. Actuellement, les 32 pays européens poursuivis par six jeunes Portugais pour inaction, devant la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), plaident l’irrecevabilité de cette action.
Le Pnue note par ailleurs « les degrés d’indépendance différents » des tribunaux selon les endroits. Certains manquent de moyens : faute d’effectifs, le Tribunal vert indien a dû fermer ses sièges décentralisés. De plus, si les condamnations écornent l’image des Etats et des industries, elles restent souvent symboliques et non suivies d’effets concrets. Localement, on voit d’ailleurs des entreprises tarder à stopper leurs pratiques polluantes. Enfin, pour des raisons de procédure ou de fond, plusieurs dizaines de plaignants ont été déboutées, comme l’Etat de New York face à ExxonMobil en 2019.
A défaut d’être une panacée, ces tribunaux sont quand même un levier d’action crucial pour des citoyens démunis face à la faiblesse des actions pour le climat, et ils jouent un rôle essentiel de sentinelles vis-à-vis des gouvernements et du secteur privé. Reste que des jugements ponctuels ne remplacent pas une vraie volonté politique d’agir. Et qu’avec des procédures qui durent parfois des années, le temps judiciaire demeure trop lent face à l’urgence climatique.
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