L’hommage à Samuel Paty « sacrifié » selon des professeurs en colère
Alors qu’il devait à l’origine occuper toute la matinée du 2 novembre, l’hommage à Samuel Paty a été réduit à une minute de silence en fin de matinée, a annoncé ce vendredi 30 octobre Jean-Michel Blanquer dans un mail adressé à l’ensemble des personnels de l’Éducation nationale. “Une minute de silence sera observée lundi à 11h, après la lecture de la lettre de Jean Jaurès aux instituteurs, dans des conditions respectueuses du protocole sanitaire applicable. Ce temps de recueillement se tiendra de préférence dans les salles de classe, et si les conditions sanitaires le permettent, dans la cour de l’établissement”, a-t-il indiqué.
“Ce temps pourra être précédé d’un temps pédagogique en classe”, adapté à l’âge des élèves, autour des valeurs de la République et de son école, précise le courrier. Mais cet exercice de pédagogie n’interviendra pas forcément ce lundi. Il pourra se tenir “tout au long du mois de novembre afin de laisser aux professeurs qui le souhaitent le temps nécessaire pour préparer cette séquence”, précise encore le courrier ministériel.
“Aucune classe ni aucun établissement ne peut s’exonérer de cette heure de travail et d’échange dont chaque élève de France doit bénéficier”, indique Jean-Michel Blanquer.
Malgré ces précautions, ce changement de programme a fait bondir, le Syndicat national des enseignants de second degré faisant immédiatement part de sa “très grande colère”, de son “incompréhension” et de sa “tristesse” sur Twitter, de voir “l’hommage à Samuel Paty sacrifié sur des considérations sécuritaires”.
“Je ressens beaucoup de colère ce soir”, témoigne Sophie Venetitay, professeure de sciences économiques et sociales en seconde et terminale et secrétaire générale adjointe du Snes, contactée par Le HuffPost. “Quand on entend cette annonce, finalement on se rend compte qu’il s’agit d’un hommage qui n’en est plus vraiment un. La minute de silence ne sera pas forcément préparée, et le temps d’échange entre adultes n’aura pas lieu”, regrette-t-elle.
“Décision indigne”
Pour Sophie Venetitay, il s’agit quoi qu’il en soit d’une “décision indigne. Cet hommage, c’était tout simplement la mémoire de notre collègue qui a été assassiné parce qu’il faisait son métier”.
Un hommage très attendu
“Ce sont trois étapes importantes qui permettent d’organiser un hommage à notre collègue. Quinze jours après son assassinat, nous avons besoin d’échanger de vive voix entre collègues, cela nous semble indispensable”, souligne Sophie Venetitay. Pour Pierre-Marie Rochard, ancien professeur de sciences économiques en lycée, du Sgen-CFDT, ce programme en trois temps “peut sembler caduc mais marque symboliquement un temps de reprise scolaire”.
Surtout, il est difficilement concevable pour les enseignants de se recueillir avec les élèves autour d’une minute de silence sans avoir pu échanger entre eux au préalable et d’avoir pu prendre le temps d’expliquer aux élèves pourquoi ils allaient se recueillir.
“C’est très important que cette minute de silence soit préparée, les élèves doivent comprendre pourquoi on rend un hommage collectif, d’où le travail pédagogique qui lui précède”, poursuit Sophie Venetitay.
Les professeurs se souviennent en effet de la minute de silence qui avait été effectuée après les attentats du 13 novembre. “L’un de mes élèves ne comprenait pas pourquoi on prenait ce temps de recueillement. C’est très important de prendre le temps de leur expliquer”, témoignage Fatna Seghrouchni, co-secrétaire de la Fédération SUD éducation, également interrogée par Le HuffPost.
Un exercice difficile
Mais pour certains professeurs, ce sera peut-être un soulagement de ne pas devoir en passer immédiatement par la séquence pédagogique. Pour Véronique Le Thiec, professeure en moyenne section à Aubervilliers, il était en effet hors de question de parler de Samuel Paty à ses petits de 4 ans, qui ne maîtrisent déjà pas tous le français. “Mes filles de 8 ans n’étaient même pas au courant”, indique-t-elle, contactée par Le HuffPost. “On ne parle pas de ça à des enfants de 4 ans, je ne vois même pas l’intérêt de leur en parler. Qu’est-ce qu’on va aller raconter une décapitation à des petits? Je ne sais pas comment ils peuvent réagir.”
Françoise*, directrice d’une école rurale d’une cinquantaine d’élèves, était “très gênée à l’idée de devoir faire découvrir à des élèves qu’un professeur s’est fait assassiner. C’est lamentable de nous demander de faire ça à des enfants”, estime-t-elle. Alors les explications à ses élèves qui vont du CE2 au CM2, elle les fera à sa sauce. “Je vais leur dire que quelqu’un de vraiment pas gentil l’a tué parce qu’il n’était pas d’accord avec lui, et aborder le moins possible les faits.” Quant à la minute de silence, elle la fera, mais en écoutant une chanson.
Voir plus loin
Finalement, l’envie de construire une réflexion à long terme sur cet attentat aura été soumise à sa faisabilité dans un contexte sanitaire. Ce que regrette profondément Sophie Venetitay, qui craint que, lundi, “les élèves reviennent et que les cours reprennent normalement”.
À voir également sur Le HuffPost: Comme Samuel Paty, ces profs n’hésiteraient pas à montrer les caricatures de Charlie Hebdo
Laisser un commentaire