L’injustice géographique de la réforme de l’assurance chômage
Soutenir quand ça va mal, sévir quand ça va mieux. Voilà la logique de la nouvelle réforme de l’assurance chômage qui va, à partir du 1er février, moduler les allocations à la conjoncture économique. Lorsque le taux de chômage en France passera sous la barre des 9 %, la durée des allocations chômage sera réduite de 25 %.
Au-dessus de cette barre seulement, la durée retrouvera les conditions actuelles. La conviction du gouvernement est la suivante : le système d’allocation chômage, trop généreux, n’incite pas à reprendre un emploi. Il fallait donc serrer la vis pour poursuivre la baisse du chômage, qui s’élevait encore à 7,3 % au troisième trimestre 2022.
Cette analyse au prisme de la motivation des demandeurs d’emploi est très critiquée par les experts du sujet. Mais elle contient de surcroît un énorme angle mort : sa dimension géographique. C’est ce que rappelle l’économiste Olivier Bouba-Olga dans une note récente pour la fondation Jean Jaurès.
Ces zones d’emploi où les chômeurs seront lésés
En effet, les taux de chômage locaux vont en effet actuellement de 3,5 % aux Herbiers (Vendée) à 14,1 % à Agde-Pézenas (Hérault). Sur les 287 zones d’emploi de France métropolitaine, 40 connaissent ainsi un taux de chômage supérieur à 9 %. Les 21 % des chômeurs qui y habitent vont donc être privés de droits parce que la situation nationale est plus enviable.
« Si on suit le raisonnement des défenseurs de la réforme, qui considèrent que rester au chômage ne résulte que d’un problème d’incitation, alors la carte de France des taux de chômage est une carte de France des « assistés » », ironise Olivier Bouba-Olga.
En observant les créations d’emploi dans les territoires à fort taux de chômage, le chercheur montre que leurs situations sont très hétérogènes. Dans le pourtour méditerranéen par exemple, l’emploi est dynamique. Mais dans le Nord, les créations sont faibles. Autrement dit, la bonne conjoncture économique censée justifier le durcissement de l’assurance chômage n’y a pas d’impact sur la situation dégradée de l’emploi.
Ce constat contre-intuitif rappelle que l’emploi et le chômage sont deux notions bien différentes qui interagissent parfois de façon paradoxale. « Une forte croissance de l’emploi [sur un territoire, NDLR] ne garantit pas d’un faible chômage et, symétriquement, un fort chômage n’est pas synonyme d’absence de création d’emplois », résume Olivier Bouba-Olga.
Les véritables freins à l’emploi ne sont pas géographiques, mais dépendent d’autres facteurs (formation, santé, capacité de déplacement sur petite distance, logement…)
Dès lors, il est illusoire de penser qu’inciter les chômeurs de l’Hérault à déménager en Vendée ou dans le Cantal soit efficace. Les véritables freins à l’emploi ne sont pas géographiques, mais dépendent d’autres facteurs (formation, santé, capacité de déplacement sur petite distance, logement…).
Un balayage de plusieurs dimensions socio-économiques confirme que la géographie de l’emploi explique mal les spécificités locales du chômage. Ainsi, les cartes du taux de pauvreté ou du nombre de jeunes ni en emploi ni en formation (NEET) sont des calques quasi-parfaits des taux de chômage, confirmant s’il le fallait encore que le non-emploi est un phénomène social multifactoriel qui se nourrit de la précarité.
Tant pis pour les chômeurs d’Agde-Pézenas, qui vont désormais payer la bonne santé industrielle de la petite ville des Herbiers.
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