Livreurs sans papiers, ils ont gagné contre Frichti
Le combat d’Ibrahim, alias La Machine
Il est l’un des livreurs à vélo en situation irrégulière qui ont obtenu de Frichti de pouvoir entreprendre une démarche de régularisation. Brut a rencontré Ibrahim Abdulkader Traoré, plus connu sous le nom de « La Machine ».
Décembre 2019. Ibrahim Abdulkader Traoré réalise un record : 1.574 kilomètres de livraison à vélo en un mois. « Je bossais partout, je faisais toutes les heures. Je pouvais faire deux, trois shifts dans la journée. Il faut se mettre à fond, ce n’est pas les autres qui vont le faire pour moi. C’est pour ça que je me suis battu, que je continue à me battre et que je vais continuer à me battre. »
Ibrahim Abdulkader Traoré est l’un des livreurs à vélo en situation irrégulière qui ont fait plier l’entreprise de livraison Frichti. Il travaille 7/7 et enchaîne parfois neuf heures de livraison à vélo. Dans le milieu, on le surnomme « La Machine ». Pourtant, ce père de famille ne savait pas faire de vélo avant d’arriver en France. « Je n’ai jamais fait de vélo en Côte d’Ivoire. J’étais gendarme, j’étais dans le sport. J’étais déjà physiquement prêt. C’était le boulot le plus facile à avoir, pour avoir quelque chose à manger, pour louer sa maison… »
Ibrahim quitte son pays et sa famille en 2018. Quand il arrive à Paris, il se retrouve sans logement. « Des amis m’ont hébergé, donc j’ai essayé de faire des petits boulots. Je n’ai pas eu la chance d’avoir de l’aide. J’ai demandé l’asile, mais je n’ai rien reçu. » Au tribunal, il gagne face à l’Ofii, l’Office français de l’immigration et de l’intégration, qui demande un recours. Depuis, Ibrahim est dans l’attente. « Ils ne m’ont rien payé. Comment je fais pour manger ? Comment je fais pour dormir ? Comment je fais pour payer cet appartement de 400 euros par mois ? »
« Moi, dès que je commence à travailler, je suis à fond »
Sans titre de séjour ni permis de travail, il emprunte des comptes pour travailler comme livreur sur les plateformes. Il remplace rapidement son premier vélo contre une bicyclette électrique. « Je n’avais pas peur de travailler. Moi, dès que je commence à travailler, je suis à fond. Je n’aime que le travail, c’est ma passion. Je n’avais pas de camarade, pas d’ami, rien. Quand je quitte le boulot, je reviens dormir, je pars au boulot, c’est que le boulot », déclare le trentenaire.
Il va même jusqu’à comparer son travail à sa famille, et place son devoir de satisfaction des clients au-dessus de tout. « Quand je suis à côté des clients, je suis un peu à l’aise, je fais tout pour les satisfaire, pour ne pas qu’ils soient déçus de la société qui nous a permis d’avoir tout ça. Ce vélo à 1.600 euros, c’est un GoSport. Après le vélo de 800 euros, c’est Frichti qui m’a permis d’acheter ça. »
« Ma famille me manque, surtout mon père et ma fille »
Mais le monde de la livraison est loin d’être aussi idyllique que « La Machine » semble le décrire. En juin 2020, une enquête de Libération dévoile que Frichti a recours à des livreurs sans papier. L’entreprise bannit alors les travailleurs illégaux de l’application, et 200 livreurs à vélo ou à scooter viennent réclamer leur régularisation. « Au moment où on a travaillé pour vous, pendant plusieurs années, vous n’avez pas reconnu qu’on avait pas de documents valables. C’est vrai que vous nous avez aidés, mais il faut que chacun soit reconnaissant de son côté. On est reconnaissant envers vous, soyez reconnaissant envers nous », résume l’Ivoirien.
Aujourd’hui, la moitié des travailleurs mobilisés ont pu entreprendre une démarche de régularisation. « J’ai un rendez-vous à la préfecture pour un récépissé qui va me permettre de travailler. À la suite de ça, je serai régularisé. Je souhaite que ça se passe vite, parce que ma famille me manque, surtout mon père et ma fille », confie Ibrahim.
« La Machine » cherche désormais un nouveau travail, moins prenant. « La livraison à vélo, c’est vraiment difficile, c’est pénible. Tu dois garder ton calme, tu dois respecter toutes les humeurs des clients. Il y a des gens que tu vas voir, tu leur dis bonjour, ils ne répondent pas. Ils te disent des mots méchants, tu n’as rien à dire parce que le boulot est tellement précieux que tu es obligé de te rabaisser à un niveau vraiment… voilà quoi. »
Laisser un commentaire