Pourquoi Macron renforce la présence militaire de la France en Méditerranée
Dit autrement, la France apporte son soutien plein et entier à la Grèce, dont la souveraineté maritime est contestée par Ankara, sur fond de recherches en hydrocarbures opérées en zone grecque, appuyées par le déploiement de navires de guerre. Des manœuvres qui ont donné lieu à des tensions au large de l’île grecque de Kastellorizo, située seulement à deux kilomètres des côtes turques.
Dans le détail, la France a donc déployé deux chasseurs Rafale et deux bâtiments de la Marine nationale: le porte-hélicoptères Tonnerre (qui était déjà en route vers Beyrouth pour y apporter de l’aide après l’explosion meurtrière du 4 août) et la frégate La Fayette. Mais au delà du dispositif prévu, les enjeux sont multiples pour Emmanuel Macron, qui inscrit ce mouvement diplomatique dans une dimension qui dépasse le dernier épisode des tensions entre Ankara et Athènes.
Rapport de forces
À Paris, cela fait plusieurs mois que les manœuvres d’Erdogan sont perçues comme des provocations visant à tester la solidarité occidentale. D’où le ton sévère utilisé par Emmanuel Macron en amont du sommet de l’Otan en décembre dernier, ce qui avait conduit Recep Tayyip Erdoğan à jouer la surenchère verbale, au prix d’une convocation de l’ambassadeur de Turquie au Quai d’Orsay. De fait, si la décision de renforcer la présence militaire française en Méditerranée orientale fait craindre à certain le risque de l’escalade, d’autres estiment qu’il s’agit du langage adapté à la situation.
“Il n’est de diplomatie efficace qui ne soit fondée sur un rapport de forces. Face aux agissements turcs, il fallait d’abord opposer la force à la force. Maintenant vient le temps de la diplomatie”, souligne sur Twitter Gérard Araud, ex-diplomate, passé notamment par les ambassades de Washington et d’Israël. Côté diplomatie justement, le message de la France est clair. “Cette présence militaire a pour but de renforcer l’appréciation autonome de la situation et d’affirmer l’attachement de la France à la libre circulation, à la sécurité de la navigation maritime en Méditerranée et au respect du droit international”, souligne le ministère des Armées.
“L’un des enjeux pour Paris, c’est que la Méditerranée reste un espace où la circulation y est libre. Or, le déploiement de la Turquie et ses prétentions dans la ZEE (zone d’économie exclusive, ndlr) autour de Chypre pourraient à terme dessiner un axe qui couperait la circulation Est-Ouest”, explique au HuffPost Walter Bruyère-Ostells, professeur des universités à Sciences Po Aix, spécialisé en géostratégie. L’idée donc derrière ce déploiement: “revendiquer le statut de principal protecteur de la Méditerranée dans un contexte où les États-Unis ne veulent plus assurer le rôle de gendarme de la libre-circulation dans cette zone”, poursuit le chercheur.
Leadership méditerranéen et souveraineté européenne
Une initiative à lire dans un plus vaste mouvement méditerranéen opéré par Emmanuel Macron depuis plusieurs mois. “Le rapprochement avec l’Algérie qui s’est accéléré ces derniers mois ou encore le volontarisme sur l’aide au Liban s’inscrivent dans ce contexte. Et avec cette vieille idée française qu’il vaut mieux être pro-actif que réactif dans cette région. Car les répercussions après un dérapage peuvent être désastreuses pour l’Europe, sur le plan sécuritaire avec le terrorisme ou sur le plan humanitaire et migratoire”, note encore Walter Bruyère-Ostells.
Ce mouvement militaire français est aussi l’occasion pour Emmanuel Macron d’envoyer des signaux à ses partenaires européens sur un dossier qui lui tient particulièrement à cœur: la souveraineté sécuritaire de l’UE. Dans le communiqué annonçant le renforcement de la présence française, l’Élysée appuie justement sur “la nécessaire solidarité de la France et de l’Union européenne envers tout État membre dont la souveraineté viendrait à être contestée”. En d’autres termes, il s’agit de convaincre ses partenaires que la sécurité du continent peut être menacée et qu’il serait temps d’aller plus loin dans l’intégration militaire au sein de l’UE.
“Les partenaires européens ne peuvent pas être les spectateurs de leur sécurité et s’en remettre à d’autres”, soulignait au mois de décembre une source élyséenne. “L’idée est d’arriver à faire bouger les lignes sur ce qu’est la sécurité européenne, surtout dans un moment où les États-Unis annoncent le retrait de leurs troupes stationnées en Allemagne”, analyse encore Walter Bruyères-Ostells. En outre, le fait que la Turquie fasse partie de l’Otan, au même titre de la Grèce, est un argument de poids pour le chef de l’État, puisque c’est bien Ankara qui est aujourd’hui accusée de violer la souveraineté maritime d’un pays membre de l’UE et donc d’être à l’origine de ces tensions qui menacent le Vieux continent. Une belle occasion pour Paris de souligner, à travers ces manœuvres, que l’Otan n’est plus forcément adaptée à la sécurité européenne.
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