Pourquoi voir Real-PSG en streaming sera quasiment impossible
INTERNET – Comptez-vous regarder le match de la Ligue des champions Real Madrid-PSG ce mercredi 9 mars? Si oui mais que vous n’êtes pas abonnés à Canal+ Sports ou RMC, vous aurez peut-être du mal à trouver un site de streaming retransmettant la rencontre. D’ailleurs, il est de plus en plus difficile de trouver ces alternatives gratuites mais illégales. Car l’Arcom, nouvelle entité qui a notamment pour mission de lutter contre le piratage sportif, a déjà bloqué des dizaines de sites depuis sa création le 1er janvier.
De son nom complet “Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique”, l’Arcom est issue de la fusion entre le CSA, ancienne autorité française de régulation de l’audiovisuel, et de l’Hadopi, dont l’une des missions principales était déjà de lutter contre le piratage sur Internet. Cette dernière, créée en 2009, s’adressait particulièrement au piratage de pair à pair (abrégé P2P pour “peer to peer”), c’est-à-dire le transfert de fichiers -en grande majorité culturels comme des films- d’un ordinateur à un autre.
Toutefois, “la loi, avant la création de l’Arcom, ne donnait pas compétence à l’Hadopi pour lutter contre le piratage sportif”, rappelle dans le Huffpost Denis Rapone, ancien président de l’autorité et désormais coprésident du groupe de travail de l’Arcom “Protection et diffusion de la création et des contenus sportifs sur internet” aux côtés de Laurence Pécaut-Rivolier.
Le piratage sportif en hausse avec la multiplication des diffuseurs
Problème, ce type de piratage s’est largement développé dans les années 2010, engendrant des pertes évaluées à plusieurs centaines de millions d’euros. Le piratage sportif a même augmenté de 65% rien qu’entre 2018 et 2020, selon un rapport de décembre 2020. En cause d’après eux: la Coupe du monde en Russie, dont seuls une partie des matchs étaient diffusés en clair, et l’arrivée de RMC dans la diffusion de la Ligue des champions, l’offre étant répartie également avec Canal+ et BeIN Sports. Résultat en 2021, 18% des internautes français de 15 ans et plus déclarent utiliser des moyens illégaux pour accéder à des retransmissions en direct, détaille une étude du CSA dont les conclusions ont été fournies au Huffpost. Le foot est le premier sport touché, mais le rugby, le tennis ou la Formule, très populaires, font aussi partie des plus piratés.
Face à ce recours de plus en plus massif aux pratiques illégales -possible grâce à l’amélioration de la qualité du streaming et à l’arrivée des boîtiers IPTV (les programmes télévisés sont transmis avec le protocole internet, certains boîtiers permettent l’accès à des sites illégaux)- une nouvelle loi a donc été créée pour répondre aux faiblesses de l’Hadopi. Celle-ci crée l’Arcom qui peut désormais lutter contre le streaming sportif.
Comment? Laurence Pécaut-Rivolier, qui travaille avec Denis Rapone, explique: “Les ayants droit (les chaînes qui diffusent ou les ligues professionnelles) peuvent saisir le tribunal judiciaire en fournissant des captures d’écran de sites qui comptent retransmettre la compétition de manière illégale.” Le tribunal vérifie les preuves et demande aux FAI (fournisseurs d’accès à internet, comme Free, SFR ou Orange) de bloquer ces pages jugées illégales pour empêcher leur accès aux internautes français. C’est ce qu’il s’est passé juste avant la rencontre PSG-Real Madrid du 15 février. Après une demande de Canal+, détenteur des droits de diffusion, le tribunal judiciaire de Paris a rendu une ordonnance enjoignant les FAI à bloquer des sites de streaming qui allaient retransmettre le match illégalement. Cette décision vaut pour tous les matchs de Ligue des champions jusqu’à la fin de la saison. BeIN Sports, qui diffuse également certains matchs de la compétition, va par extension bénéficier de cette décision.
130 sites bloqués depuis le 1er janvier
Ensuite, et c’est là que l’Arcom intervient, “si les ayants droit constatent, après l’ordonnance du tribunal, que d’autres sites s’apprêtent à diffuser ou diffusent des images de cette même compétition, ils peuvent nous saisir. À partir de là, nous faisons une notification aux FAI pour qu’ils bloquent aussi ces pages web rapidement”, poursuit Laurence Pécaut-Rivolier. C’est encore une fois ce qu’il s’est passé pour PSG-Real Madrid. Après la décision du tribunal, Canal+ a saisi l’Arcom la veille du match en signalant de nouveaux sites illégaux, puis l’autorité a notifié aux FAI les onze adresses à bloquer. “Nous mettons en place la procédure prévue par la loi dans un temps record, dans les 24h après avoir été saisis”, remarque fièrement Laurence Pécaut-Rivolier.
BeIN Sports, l’un des pionniers de la lutte contre le piratage sportif, félicite cette nouvelle loi. “Nous sommes très très très contents que le texte ait été voté et très contents que la mission dynamique soit confiée à l’Arcom. Ils font un travail remarquable et sont très efficaces. Les FAI exécutent les décisions de justice, j’espère qu’on va continuer dans ce sens”, loue Caroline Guenneteau, secrétaire générale adjointe de BeIN Media Group. “Tout est perfectible, nous ne sommes qu’au début. On souhaite industrialiser un peu plus le process mais les résultats sont déjà très satisfaisants”, ajoute-t-elle.
À l’heure où ces lignes sont écrites, 130 de sites ont été bloqués depuis le 1er janvier. Parmi eux, révèle NextImpact: beinmatch.tv, kooora4live.net, kora-online.tv, cloud.yalla-shoot.us, tv.kora-star.com, sekdrive.net, sportnews.to, fcstream.cc, freestreams-live1.com, aflam4you.tv, can2021.aflam4you.tv, Ilivestream.com, Usagoals.sx, SportP2P.com…
Ce dispositif concerne toutefois seulement les internautes qui souhaitent regarder le match sur le sol français. Facile alors d’éluder le blocage en utilisant par exemple un VPN, un outil qui permet de localiser virtuellement l’ordinateur dans un autre pays. “Il y aura toujours des mesures de contournement”, reconnaît Pauline Blassel, ancienne secrétaire générale de l’Hadopi, aujourd’hui directrice générale adjointe de l’Arcom. “Mais les services, comme les VPN, qui permettraient activement l’accès aux pages illicites, peuvent aussi être mis en cause par les ayants droit. La loi encourage également les différentes parties prenantes à conclure des accords entre elles pour empêcher la diffusion de contenus pirates. Des VPN pourraient ainsi, par exemple, conclure des accords avec les ayants droit.”
Le secteur du sport doit trouver un nouveau modèle économique
D’autres outils existent pour lutter contre le piratage sportif, comme le déréférencement des sites sur les moteurs de recherche pour les rendre introuvables, ou le blocage des adresses IP. Ces instruments seront toutefois développés plus tard, précise nos interlocuteurs. Denis Rapone insiste aussi sur l’importance du volet “sensibilisation” afin d’“aller vers les internautes, surtout les plus jeunes, pour les diriger vers un usage responsable et vertueux de l’Internet”.
Une chose est sûre, l’internaute reste dans tous les cas pénalisé. Que dire à un ou une étudiant.e fan de foot qui n’a pas les moyens de payer des abonnements à toutes les chaînes pour voir les matchs de son équipe préférée? La secrétaire générale adjointe de BeIN ne mâche pas ses mots. “Je ne comprends pas cet argument”, pose-t-elle d’emblée. “Quand vous rentrez dans un magasin Zadig et Voltaire, vous ne vous dites pas ‘je veux tous les sacs’. On ne peut pas tout avoir. Diffuser le sport, ça coûte des millions d’euros d’investissements”, souligne-t-elle. “Quand je veux une baguette de pain, je ne la prends pas, sinon c’est du vol. Le sport, c’est pareil. Les biens et les services ont un prix. Surtout que notre offre reste abordable, notre abonnement est à 15 euros pour une grande variété de sports, c’est à peine plus cher qu’une séance de cinéma”, pointe-t-elle.
Du côté de l’Arcom, Pauline Blassel se veut plus compréhensive. “On sait que la moitié des consommateurs (47%) qui ont des pratiques illicites dans le sport sont par ailleurs abonnés à une offre légale. Les gens sont parfois amenés à réaliser des arbitrages et on est conscients de la difficulté que ça peut représenter pour certains utilisateurs”, concède la directrice générale adjointe de l’autorité.
À terme, explique-t-elle, le but est de créer “un environnement économique sain et équilibré pour permettre à des offres légales de se développer, tout en restant accessibles aux consommateurs”, à l’image du domaine de la musique avec Spotify et Deezer. “. Le secteur de la musique a mis plusieurs années avant de trouver un modèle économique viable face à l’évolution des usages numériques. Le sport, dernier attaqué par les pratiques de piratage, doit à son tour trouver son équilibre”, justifie-t-elle. En attendant, les fans doivent soit se passer des compétitions, soit augmenter leur budget sport mensuel… soit renoncer à aller au cinéma.
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