Protection sociale : un pognon pas si mal dépensé
Notre modèle social coûte cher, c’est entendu. Quelque 27,2 milliards d’euros ont ainsi été versés au titre des minima sociaux en 2018, ce qui représente 1,2 % du produit intérieur brut (PIB). Mais ce « pognon de dingue », selon l’expression présidentielle, est-il bien dépensé ?
La question est loin d’être anodine, à l’heure où la pauvreté repart à la hausse. En 2018, 9,3 millions de Français vivaient en dessous du seuil de pauvreté (c’est-à-dire avec moins de 1 063 euros pour une personne seule), soit 400 000 de plus qu’en 2017. Le taux de pauvreté culmine ainsi à 14,8 % de la population en 2018, son niveau le plus élevé enregistré depuis 1996.
Alors, toutes ces sommes d’argent dilapidées pour aider les plus démunis servent-elles à quelque chose ? Pas la peine d’entretenir plus longtemps le suspense : la réponse est oui, comme viennent de le confirmer plusieurs études.
Redistribution efficace
C’est évident si on se place du point de vue des déshérités. Dans l’édition 2020 de son ouvrage « Minima sociaux et prestation sociales », la Drees rappelle utilement que les prestations sociales représentent 41 % du revenu des ménages pauvres. Quasiment la moitié ! Précisons d’emblée que cela ne leur assure pas un niveau de vie dispendieux. Grâce aux minima sociaux, leur bourse s’améliore de 346 euros en moyenne par mois. Ce qui est tout de même loin d’être négligeable pour les personnes concernées.
Les prestations sociales jouent également un rôle décisif à l’échelle de l’ensemble de la société, dans la mesure où elles permettent de faire baisser significativement le taux de pauvreté. En 2017, 14,1 % de la population était pauvre, contre 22,1 % si cette redistribution n’existait pas, soit huit points de moins.
Mieux, notre modèle social a un effet très net sur l’intensité de la pauvreté, qui baisse de 21,3 points, passant de 40,9 % à 19,6 %. Concrètement, cela veut dire que grâce à la redistribution, les pauvres sont un peu moins pauvres. Leur niveau de vie médian se rapproche un peu plus du seuil de pauvreté, c’est-à-dire de la barre des 1 063 euros. Ce n’est en effet pas la même chose d’être juste en dessous du seuil de pauvreté, avec par exemple 950 euros par mois, que de devoir survivre avec 500 euros.
Les femmes seules qui élèvent des enfants sont celles bénéficiant le plus de cet effort de solidarité. Signe au passage que l’argent dépensé est plutôt bien ciblé, car les familles monoparentales sont très exposées à la pauvreté. Les familles nombreuses et les jeunes de moins de 20 ans voient également leur situation s’améliorer significativement grâce aux prestations sociales.
Correction des inégalités
Notre modèle social a également fait ses preuves pour corriger en grande partie des inégalités de revenus. En témoigne l’évolution du rapport interdécile avant et après redistribution. Avant la prise en compte des effets de notre système de protection sociale, le rapport entre le neuvième décile de niveau de vie (niveau plancher des 10 % des personnes appartenant aux ménages les plus riches) et le premier décile (niveau plafond des 10 % les plus pauvres) était de 6,3 en 2017. Après redistribution, ce ratio descend à 3,4 soit 2,9 points de moins. C’est quasiment une division par deux !
Une autre manière de se convaincre que nos impôts ne servent pas à rien consiste à regarder dans le rétroviseur. Que s’est-il passé en termes de niveaux de vie depuis la crise de 2008 ? Et dans quelle mesure notre modèle social a-t-il réussi à limiter les dégâts ? Une étude de l’Insee, publiée il y a quelques semaines, donne des éléments de réponse intéressants (lire aussi notre article sur la hausse des inégalités qui commente plus en détail cette publication). Entre 2008 et 2018, le niveau de vie avant redistribution des plus pauvres (le 1er décile) chute de plus de 10 %, alors qu’après redistribution, il baisse peu. Inversement, chez les plus riches, le niveau de vie augmente légèrement sur ces dix années avant redistribution, alors qu’il stagne une fois pris en compte impôts et prestations sociales.
L’effet correcteur joue à plein. Même si les mesures mises en œuvre par Emmanuel Macron depuis 2017 ont tendance à en limiter la portée. « La politique socio-fiscale du gouvernement se voit sur le revenu des plus pauvres : alors que le 1er décile avant redistribution augmente entre 2017 et 2018, il diminue après redistribution », pointe l’économiste de l’OFCE Guillaume Allègre.
L’efficacité de notre modèle social à lutter contre la pauvreté peut se lire également en comparaisons internationales. Le taux de pauvreté en France calculé par Eurostat (13,4 %) est ainsi bien en deçà de la moyenne européenne (17,1 %). Et la France fait partie des pays où la redistribution fait le plus baisser la pauvreté (- 10,8 points selon Eurostat, contre – 8,4 pour la moyenne européenne).
On ne fait pas aussi bien que les Danois (- 18,3 points), mais on fait mieux que la Suède, avec à l’arrivée un taux de pauvreté inférieur de 3 points en France. Et encore, ces données ne prennent pas en compte toute une partie de notre modèle social, et notamment les retraites qui jouent également un rôle redistributif.
Des marges de progression existent sans doute et il est légitime de questionner la bonne utilisation des deniers publics. Mais le « pognon de dingue » que l’on reverse aux plus pauvres est loin d’être gaspillé.
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