Quand le numéro vert spécial vaccination dissuade d’aller se faire vacciner
COVID-19 – Le numéro vert est loin d’avoir convaincu Monique Bernard de se faire piquer. À 80 ans, elle refuse de se faire vacciner contre le coronavirus et préfère se confiner dans sa tour d’immeuble à Brest. Encouragée par sa petite fille, elle a dégainé le téléphone, ce mercredi 3 novembre, pour composer le “numéro vert”. Une conversation à laquelle a assisté Le HuffPost.
Ce numéro -0 800 730 957-, mis en place le 26 octobre par le gouvernement, s’inscrit dans le dispositif “aller vers” de la campagne de vaccination du Covid-19. L’objectif est d’inciter les personnes âgées de plus de 80 ans à se faire vacciner. “Parce qu’au-delà de 80 ans, le taux de vaccination diminue avec l’âge”, indique le site du ministère de la santé. Les chiffres le confirment: début octobre, 87% des personnes de plus de 80 ans sont vaccinées, contre 93% des 60-80 ans.
5400 personnes ont composé le numéro vert
Joignable du matin au soir, de 6h à 22h, cette ligne téléphonique rend donc accessible la vaccination aux publics les plus vulnérables, en leur offrant la possibilité de se voir injecter le sérum à domicile s’ils en font la demande. Pas besoin de se déplacer, un coup de fil suffit pour qu’unsoignant vienneadministrer une dose de vaccin.
Le gouvernement porte beaucoup d’espoirs dans ce numéro vert: “Nous nous attendons à un volume significatif de personnes faisant appel à ce dispositif dans les semaines à venir”, affirme le ministère de la Santé au HuffPost. 5400 appels ont été passés depuis le lancement de la plateforme il y a neuf jours, “dont une minorité pour demander des informations et une majorité pour prendre des rendez-vous pour une vaccination à domicile.”
Monique Bernard, elle, n’a pas encore décidé si elle allait tendre le bras à la vaccination et appelle pour des conseils. D’une voix basse et timorée, la retraitée se présente à l’opérateurchargé de recevoir les appels: “Bonjour, j’ai plus de 80 ans, je reste chez moi toute la journée, quels sont les avantages pour moi de me faire vacciner?”
“Si vous ne sortez pas de chez vous, n’allez pas dans des endroits avec du monde, et si vous respectez les gestes barrières, il n’y a pas de raison de vous faire vacciner”: une réponse étonnante et très peu convaincante.
“On n’est pas là pour les convaincre”
Moins d’une minute plus tard, Monique Bernard finit par raccrocher, avec la certitude que se faire vacciner ne sert à rien: “Mon médecin ne me pousse pas à me faire vacciner, et là on me dit que si je n’ai pas besoin de pass sanitaire, ce n’est pas utile. Donc je vais continuer à prendre toutes les précautions et soigner d’abord ma dépression”.
Interloquée par les préconisations données à sa grand-mère, sa petite fille décide de rappeler le service. “On n’est pas là pour les convaincre”, lui explique une opératrice. “On est juste le relais entre les médecins et les centres de vaccination”. Les opérateurs n’ont d’ailleurs aucune expertise médicale: “Je ne suis pas médecin mais agent animalier dans la vie”, raconte l’interlocutrice au téléphone.
Ce dispositif n’est effectivement pas un numéro d’écoute médicale mais un service pour faciliter la prise de rendez-vous de la vaccination à domicile ou chez un particulier. Il n’empêche que l’objectif affiché du gouvernement, avec ce numéro vert, est de relancer la vaccination alors qu’elle stagne chez les plus de 80 ans. Avec des opérateurs à l’autre bout du fil qui ne rappellent pas les bénéfices du vaccin pour les personnes âgées ou fragiles, difficile de convaincre.
La stratégie “d’aller vers” ne suffit plus
Ces dispositifs “d’allers vers” ont pourtant, dans un premier temps, bien fonctionné. Campagnes d’informations, SMS, et même porte-à-porte: la stratégie de séduction auprès des personnes âgées et vulnérables a poussé 135.000 personnes à prendre un rendez-vous pour se faire vacciner.
Mais le conseil scientifique a récemment mis en doute la capacité de persuasion de cette campagne. “La stratégie “d’aller vers” ne suffit plus pour cette population en partie réfractaire au vaccin”, écrit le conseil scientifique dans un avis publié mardi 5 octobre.
Le gouvernement français peine à atteindre ces publics, ce qui n’est pas le cas de d’autres pays. Pour les plus de 80 ans, “on est sur un plateau depuis le printemps”, se désole Olivier Guérin, président de la Société française de gériatrie, dans le quotidien La Provence. “Incompréhensible”, selon lui, “qu’on n’arrive pas à vacciner les populations à risque de manière beaucoup plus massive”, comme c’est le cas notamment au Québec ou en Espagne.
La raison? Difficile à dire, mais le fait est que plus de 5 millions de Français n’ont pas de médecin traitant. En Espagne à l’inverse, tous les individus sont rattachés à des centres de santé et ont tous été contactés par ces centres pour se faire vacciner.
Ce n’est pas la cinquième vague qui inquiète aujourd’hui le plus les épidémiologistes, mais le risque d’“avoir en permanence des cas graves hospitalisés”, alertait en octobre à l’AFP l’infectiologue Odile Launay. Pour les éviter, le gouvernement devra convaincre les plus âgés de se faire vacciner. Et pour ça, adapter sa stratégie de persuasion.
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