Révélations : un autre grand flic mis en examen dans l’affaire Squarcini
« Le Squale », comme on le surnomme, n’a pas fini de nager en eaux troubles. Depuis 2016, l’ancien directeur du renseignement intérieur Bernard Squarcini a cumulé les mises en examen dans une affaire tentaculaire, où les juges l’accusent de « trafic d’influence », « exercice illégal d’agent de recherches privées », « atteinte à la vie privée », « faux en écriture publique » ou encore « détournement de fonds publics ». Le très sarkozyste Bernard Squarcini est suspecté d’avoir mis sur pied un véritable service de renseignement parallèle, non plus au service de l’Etat, mais au service d’intérêts privés. Et notamment ceux de son nouvel employeur à partir de 2013, le groupe de luxe LVMH. Le groupe de luxe est en effet devenu un des principaux clients de la société de conseil en sécurité que Squarcini vient alors de fonder : Kyrnos.
Pour le compte de l’empire du milliardaire Bernard Arnault, Squarcini a multiplié les barbouzeries, faisant notamment espionner le futur député François Ruffin, qui préparait un documentaire sur le PDG de LVMH. Le Squale a aussi fait surveiller de manière illégale les dirigeants du groupe de luxe Hermès, alors en conflit ouvert avec LVMH. Débarqué de la DCRI en 2012 et reconverti dans le privé, il recourt toujours à la même méthode : activer son réseau. Squarcini a gardé tant d’amis à la DCRI qu’on pourrait se demander s’il en est jamais parti. Il sollicite régulièrement ses fidèles contacts à l’intérieur des services de renseignement ou de la police, afin de recueillir des informations confidentielles qu’il n’aurait jamais du avoir entre les mains et qu’il utilise ensuite au bénéfice du groupe LVMH, ou d’un autre client de sa société Kyrnos. Plusieurs grands flics ou hauts commis de l’Etat qui ont renseigné Squarcini sont aujourd’hui inquiétés par la justice pour avoir rendu ces petits services pas très légaux. Parmi eux, un policier dont la presse n’a jamais évoqué le nom bien qu’il a été mis en examen le 21 décembre dernier : le commissaire général Jean-François Lelièvre.
Jean-François Lelièvre a travaillé à la DCRI aux côtés de Bernard Squarcini du temps où ce dernier était le maître-espion de Nicolas Sarkozy. « Le Squale » entretenait déjà une drôle conception du service de l’Etat, n’hésitant pas à se mettre au service d’intérêts privés comme ceux de Bernard Arnault. « Un jour de décembre 2008, je suis appelé par Pierre Godé (ndlr : le bras droit du PDG de LVMH, aujourd’hui décédé) qui me dit avoir besoin en toute urgence et de façon confidentielle d’une aide que peut lui apporter le service », a raconté Squarcini devant la juge d’instruction. Le Squale s’exécute et demande à Jean-François Lelièvre, alors sous-directeur en charge des surveillances et des filatures, d’identifier un mystérieux corbeau qui faisait chanter Bernard Arnault. Le résultat ne se fera pas attendre. Devant la juge d’instruction, Squarcini confiera que « René Bailly (ndlr : le directeur-adjoint de la DCRI) ou Lelièvre me disaient que le gars avait été photographié et que la photo avait été envoyée à LVMH ». Si Lelièvre a nié lors de son interrogatoire « avoir été activé sur cette opération », il a continué à rendre quelques services à Bernard Squarcini. Il faut dire qu’au contraire du tout-puissant patron de la DCRI, Jean-François Lelièvre n’a pas été débarqué à l’arrivée de la gauche au pouvoir en 2012.
Il a même bénéficié d’une belle mutation, puisqu’il a été nommé coordonnateur des services de sécurité intérieure en Corse. Une région que le Squale connaît bien, et où il est comme un poisson dans l’eau. Squarcini y a de nombreux amis, et pas des plus recommandables. Il a frayé avec le « parrain des parrains », Michel Tomi, qui a fait fortune dans les casinos en Afrique. Il se fait appeler « mon tonton » par Marie-Claire Giacomini, la responsable du bar du Cercle de Wagram, un cercle de jeu parisien tenu jusqu’en 2013 par le grand banditisme corse et qui a brassé des sommes considérables d’argent sale. Même après avoir quitté la DCRI, Squarcini n’a jamais refusé un coup de main à ses amis de l’île de Beauté. En 2013, un ancien pilote de rallye, Patrick Bernardini, est mis en garde à vue dans l’enquête sur l’assassinat par la mafia de l’avocat Antoine Sollacaro. La moto volée ayant servi aux tueurs est passée par le garage BMW de Bernardini à Ajaccio, où elle aurait été trafiquée.
Bernardini n’est pas un inconnu pour Squarcini. Sa compagne, Sabine Grisoni, est l’ex-femme du patron de la Villa Corse, un restaurant parisien où Squarcini a ses habitudes. Le 29 mars 2013, la compagne de Patrick Bernardini écrit ce sms au Squale : « Dis-moi, il paraît que Patrick est en garde à vue depuis mercredi soir ». Squarcini va alors se renseigner auprès de son ancien subordonné Jean-François Lelièvre, lequel va se montrer très réactif et prolixe. Non seulement il confirme la garde-à-vue de Bernardini à Squarcini, mais il lui donne tout une série de détails sur les avancées de l’enquête, les perquisitions à venir et même le transfert de Bernardini à Marseille. Un transfert par un hélicoptère de la gendarmerie que Squarcini va s’empresser d’annoncer à la compagne du gardé-à-vue, ce que la juge d’instruction a interprété comme une violation du secret de l’enquête. Lors d’une première audition par les enquêteurs, Jean-François Lelièvre s’est défendu en invoquant une simple « conversation entre professionnels », semblant ignorer la reconversion de Squarcini dans le privé et ses liens troubles avec le milieu corse. Les explications de Lelièvre n’ont pas convaincu la juge, qui l’a mis en examen le 21 décembre dernier. Le commissaire général est également accusé d’avoir fourni à Squarcini des notes confidentielles d’Interpol sur la contrefaçon de cosmétiques, un sujet qui intéressait au plus haut point le nouvel employeur de ce dernier, LVMH.
Même s’il est mis en examen et aura prochainement à répondre devant la justice, Lelièvre n’est pas un homme seul. S’il n’a souhaité répondre aux sollicitations du Média ni directement, ni par l’intermédiaire de son avocat, d’autres ont pris sa défense. Joint par téléphone, Bernard Squarcini s’offusque de la mise en examen de son ancien subordonné : « c’est très confus et à charge… très démesuré pour Jean-François Lelièvre, qui est quelqu’un de très bien et avec qui j’ai commenté des affaires car on les a travaillées ensemble… pas pour les faire fuiter ». Contacté, le service d’information et de communication de la police nationale (SICOP) n’a pas souhaité faire de commentaires et s’est refusé à nous indiquer si Jean-François Lelièvre fait l’objet d’une quelconque procédure disciplinaire à la suite de sa mise en examen, ni même s’il bénéficie de la protection fonctionnelle dans cette saffaire. « Cela ne l’intéresse pas » nous répond même le service presse après une demande d’interview à Brigitte Jullien, directrice de l’IGPN (la police des polices). Le commissaire général Lelièvre était pourtant toujours en fonction à l’IGPN au moment de sa mise en examen il y a deux mois. Un arrêté du 25 février 2022 l’intègre même aux jurys chargés de sélectionner les futurs officiers de police. C’est lui, soit dit en passant, qui a co-rédigé le rapport de l’IGPN sur les violences de la place de la Contrescarpe le 1er mai 2018. Alexandre Benalla, déguisé en policier, avait alors molesté plusieurs manifestants. Et le rapport de la police des polices, sous la plume de Lelièvre, avait insisté sur la nécessité de préserver le secret de l’enquête…
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