RSA : une allocation sous pression
La mesure est dans les tuyaux depuis un moment. La remise du rapport de préfiguration de France Travail, futur nom de Pôle emploi, le 19 avril, l’a confirmé : pour percevoir le RSA, ses allocataires devront réaliser 15 à 20 heures « d’activité » par semaine. 18 départements ont commencé à l’expérimenter, mais on sait d’ores et déjà que la mesure sera généralisée.
« Avec cette réforme, le gouvernement glisse de plus en plus d’un droit à l’emploi vers une obligation de travailler », avait mis en garde la CGT en janvier.
« A l’issue de ce rapport, on n’en [sait] guère plus sur le contenu réel de l’offre de services autour des 15 à 20 heures d’activité », a réagi l’association ATD Quart Monde, favorable, comme les autres associations de lutte contre la pauvreté, à un revenu minimal inconditionnel.
« Il n’a jamais été question ni de travail gratuit, ni de bénévolat obligatoire », s’est défendu le ministre du Travail Olivier Dussopt dès l’automne.
Concrètement, il s’agira, selon le haut-commissaire à l’emploi et à l’engagement des entreprises, Thibaut Guilluy, auteur du rapport, « d’immersions d’entreprises [sic], de formation, passer le permis de conduire, faire du bénévolat dans une association… tout ce qui contribue à faire en sorte que la personne reprenne confiance en elle, qu’elle se forme et qu’elle retrouve un emploi ».
La France est-elle en train de franchir un cap supplémentaire vers le workfare, ces programmes états-uniens qui considèrent que les allocataires d’une prestation sociale aptes au travail doivent travailler pour percevoir leur allocation ?
Le département de Seine-Saint-Denis avait d’abord signé pour l’expérimentation. Il s’en est retiré fin mars.
« La goutte d’eau a été le discours présidentiel [du 22 mars], quand Emmanuel Macron a déclaré qu’il souhaitait « aller chercher ces bénéficiaires et les responsabiliser ». Pour nous, c’est inacceptable, car le RSA est un droit social fondamental », a souligné le président du conseil départemental, Stéphane Troussel.
La sanction ne sera pas automatique, a répondu le haut-commissaire Thibaut Guilluy, « la décision finale relèvera bien du président du conseil départemental ».
L’automaticité de la sanction serait un coup de tonnerre. En l’état de flou actuel, la réforme constitue surtout un pas supplémentaire vers une tendance de long terme, celle de l’injonction à l’emploi faite aux allocataires du RSA. Dès leur mise en place, dans les années 1990, les politiques d’insertion mettent l’accent sur la responsabilité individuelle.
« Très vite, on est passé du droit à un revenu minimal garanti par la collectivité et inscrit au préambule de la Constitution de 1946 à une incitation à travailler », résume l’économiste Anne Eydoux.
Pression inefficace
Au cours des années 1990 puis 2000, les différents minima sociaux ont été assortis de telles incitations. Depuis la transformation du RMI (revenu minimum d’insertion) en RSA (revenu de solidarité active), en 2009, cette prestation est complexe à obtenir, en particulier lorsqu’elle se combine à de petits revenus.
L’appariement entre chômeurs de longue durée et allocataire du RSA d’un côté, et emplois non pourvus de l’autre n’a rien d’une évidence
Son attribution fait déjà l’objet de contrôles, et de sanctions (réduction ou suspension) en cas de non-respect des démarches d’insertion professionnelle ou sociale. Certains départements sont allés plus loin. En 2016, le Haut-Rhin a ainsi voté l’obligation de sept heures de bénévolat par semaine pour les allocataires du RSA. Très contesté, le principe a finalement été validé par la justice au bout de quatre ans.
Problème : la pression mise aux allocataires ne produit pas les effets escomptés, comme l’a montré une étude récente. « Les contrôles des bénéficiaires du RSA ne sont pas très efficaces », explique Yannick L’Horty, l’un des co-auteurs de l’étude.
L’envoi de courriers rappelant aux allocataires leurs obligations sous menace de suspension ou de radiation de leurs droits n’a pas beaucoup d’effets sur le respect de leur contrat.
« Ces messages d’avertissement conduisent en réalité à des sorties du RSA, sans que l’on sache si les personnes concernées ont retrouvé un emploi. S’il n’est pas exclu que ce soit le cas pour certains profils moins en difficulté, pour d’autres, la radiation les oblige à se réinscrire et donc à reprendre de zéro leur parcours d’insertion », poursuit le chercheur.
Nombre d’allocataires sont demandeurs d’un meilleur accompagnement. Mais il n’est pas nécessaire de l’assortir d’une obligation d’activité. D’autant que « les politiques d’insertion agissent à la marge. Ce qui a vraiment un impact sur le chômage, ce sont les créations d’emplois », explique Anne Eydoux.
Pénurie de main-d’œuvre
Un discours difficilement audible à l’heure où les employeurs se plaignent de difficultés de recrutement. Dans son rapport, Thibaut Guilluy pointe « un paradoxe de plus en plus difficilement compréhensible par les citoyens » : d’un côté, de nombreuses personnes dépourvues d’emploi, de l’autre, des entreprises qui peinent à recruter. Et de citer le chiffre de trois millions d’intentions d’embauche en 2023.
Issu de l’enquête Besoins en main-d’œuvre de Pôle emploi, ce chiffre ne peut toutefois pas être mis en regard des 2,8 millions de chômeurs de catégorie A et du 1,8 million de foyers percevant le RSA. Les intentions d’embauche ne se traduisent pas en créations nettes d’emploi.
En 2022, trois millions d’embauches avaient été déclarées, et 300 000 emplois salariés dans le privé ont été créés. Les emplois à pourvoir sont soit qualifiés (couvreurs-zingueurs qualifiés, pharmaciens,…) soit correspondent à des conditions de travail difficiles (cuisinier, serveur, aide ménagère, manutentionnaire…). L’appariement entre chômeurs de longue durée et allocataire du RSA d’un côté, et emplois non pourvus de l’autre n’a rien d’une évidence.
Aujourd’hui, le RSA constitue un socle de revenus pour 1,8 million de foyers, soit près de 4 millions de personnes avec les conjoints et enfants, pour une dépense publique de 15 milliards d’euros (prime d’activité et accompagnement compris). Cela représente 7 000 euros par ménage et par an, « ce qui en fait l’une des aides publiques les moins coûteuses par rapport à son impact social », rappelaient les chercheurs Yannick L’Horty, Rémi Le Gall et Sylvain Chareyron en 2022.
Pour une allocation d’un montant qui reste très insuffisant pour vivre : de 607 euros pour une personne seule à 1 519 euros pour un couple avec trois enfants. Et avec un taux de non recours de plus de 30 %.
Pour remédier à cette situation, il faudrait créer des emplois décents, non qualifiés et de proximité, comme le fait par exemple le programme Zéro Chômeur de Longue Durée. Cela impliquerait de dépenser beaucoup plus. Et pas dans la direction prise par le gouvernement.
A paraître demain : Allocataires du RSA : Combien coûte le retour vers l’emploi ?
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