« Séparatismes »: Macron vise l’islamisme sans dire son nom
C’est donc le grand jour pour le président de la République, qui devrait ce vendredi distiller les premiers éléments d’un projet de loi censé épouser le virage “régalien” négocié depuis le remaniement estival. Ce texte, annoncé initialement pour la rentrée, sera présenté en conseil des ministres début décembre pour un examen à l’Assemblée nationale début 2021. À l’Élysée, on justifie ce retard à l’allumage par la délicatesse du sujet traité.
Mélange des genres
“On touche à des sujets extrêmement sensibles, on touche aux libertés, à la liberté d’association, à la laïcité”, souligne l’entourage du chef de l’État, précisant que le texte en cours de finalisation fait l’objet d’une “expertise juridique” menée par le secrétariat général du gouvernement, afin de s’assurer que les mesures proposées passeront bien sous les fourches caudines du Conseil constitutionnel. Quant aux intentions du texte, la présidence assume: ”l’islamisme est le premier des séparatismes”.
Pour faire face à la menace de “sociétés parallèles” qui se couperaient de la République, Emmanuel Macron mise sur une “stratégie globale”, alliant répression et promotion des principes républicains. Une approche déclinée en formule aux faux airs de slogan électoral: “la République en actes”. Côté répressif, l’exécutif cible en priorité certaines associations, accusées de dissimuler leurs activités cultuelles sous couvert d’activités culturelles.
“Un mélange des genres entre les activités déclarées et un prosélytisme religieux très fort sous forme d’endoctrinement”, résume-t-on place Beauvau, en citant des associations de soutien scolaire ou des structures sportives dont “le but social est détourné” au profit d’une propagande islamiste insidieuse. Le projet de loi favorisera donc les contrôles, et prévoira également un “renforcement de la neutralité dans les services publics et délégations de services publics, notamment dans les transports”, poursuit-on de même source.
Une allusion limpide à ce qui a été plusieurs fois pointé du côté de la RATP, où la pratique de la prière musulmane par des agents dans les locaux de la régie a fait couler beaucoup d’encre. Emmanuel Macron souhaite également agir sur les questions de “dignité humaine”, comprenant la question des certificats de virginité déjà évoquée par le duo Schiappa/Darmanin. “Cela provoquera des poursuites pénales”, confirme l’Élysée, alors que certains gynécologues estiment que la pénalisation de ces actes pourrait être contre-productif.
“On sait très bien qui sont les adversaires”
Si l’entourage d’Emmanuel Macron assure que cette loi ne vise qu’à “clarifier” certaines situations opaques dans lesquelles des islamistes s’engouffrent, la forme et les premiers signaux envoyés par l’exécutif sont d’ores et déjà critiqués pour leur ambiguïté. “Ne parlons pas de séparatisme, parlons du combat contre l’islamisme radical”, grince le président du groupe LR au Sénat Bruno Retailleau, accusant Emmanuel Macron “d’amuser la galerie” sur le sujet. Pour Xavier Bertrand, si le chef de l’État parle de “séparatisme” c’est parce qu’il “a du mal à prononcer le mot islamisme”. Des critiques balayées d’un revers de main par l’Élysée qui souligne “l’importance d’éviter les amalgames et les provocations inutiles”. Et d’insister: “on sait très bien qui sont les adversaires de la République, on les a bien désignés dans nos termes”.
À l’inverse, d’autres s’inquiètent des intentions d’un texte qui, sous couvert de lutter contre “les séparatismes”, se focalise surtout (et encore) sur les musulmans. Chems-eddine Hafiz, recteur de la Mosquée de Paris, met en garde. “S’il s’agit uniquement de mettre en place des mesures gadgets pour servir une communication politique sans lendemain, je préfère ne pas m’engager”, écrit-il dans une tribune publiée dans Le Monde. “Je soutiendrai complètement l’action du président de la République face au ‘séparatisme islamiste’ à condition que la démarche s’inscrive dans une politique volontariste, résolument républicaine et qu’elle s’éloigne de l’opportunisme politicien et des coups de communication qui s’invitent généralement dans le débat à la veille des échéances électorales”, poursuit-il.
Du côté de l’Élysée, on jure avoir entendu et pris en compte ces alertes, via notamment les concertations avec les représentants des cultes. “Cette loi vise à protéger les musulmans, qui sont les premières victimes de l’islamisme. Donc non, il n’y a donc pas d’amalgame”, assure l’entourage d’Emmanuel Macron, reconnaissant à demi-mots que le sujet est bien davantage l’islam radical que “les séparatismes” au pluriel. Ce qui fait craindre, à gauche, une initiative qui divisera plus que ce qu’elle rassemblera, d’autant que le pays semble assez doté juridiquement pour lutter contre l’islamisme.
“En agitant la société sur des sujets ultraminoritaires qui développent une suspicion majoritaire, le macronisme nous fait courir le risque d’accélérer ‘l’archipélisation’ d’un pays toujours plus divisé”, juge dans une tribune publiée dans Le Monde le député insoumis Alexis Corbière, pour qui le pays “n’a pas besoin d’une loi des suspects sans efficacité concrète contre l’islamisme radical et les fanatiques meurtriers”. Ce vendredi, Emmanuel Macron aura l’occasion lors de son discours de répondre à ces injonctions paradoxales, entre ceux qui le jugent trop mou et ceux qui l’accusent au contraire de jouer à un jeu dangereux. Comme le disait le cardinal de Retz, “on ne sort de l’ambiguïté qu’à ses dépens”.
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