Stages de seconde : en route vers le fiasco ?
Voilà du lourd pour la fameuse « reconquête du mois de juin » annoncée par tant de ministres de l’Education depuis quinze ans : à compter de ce lundi, les 500 000 élèves de seconde doivent obligatoirement effectuer un stage en milieu professionnel jusqu’au 28 juin.
Du moins, en théorie. Léa, élève de la métropole lilloise, cherchait encore il y a quelques jours un stage dans la culture : « Au début, je voulais trouver dans le milieu de la musique, mais après plusieurs candidatures et réponses négatives, j’ai élargi à tous les domaines de la culture. »
La jeune fille a postulé dans les studios, musées et lieux associatifs, sans succès. « Si je ne trouve pas, j’irai sans doute travailler chez Monoprix avec ma tante », annonce-t-elle, dépitée.
A la veille de la date butoir, il était difficile de connaître le nombre exact d’élèves qui demeuraient sans stage. « Au 3 juin, 70 % des élèves avaient fait signer leur convention dans les académies interrogées », annonçait le 7 juin dernier le directeur général de l’enseignement scolaire (Dgesco) Edouard Geffray, sur la base d’un « sondage » réalisé dans « cinq ou six académies » (sic).
« Nous n’avons pas d’outils précis pour connaître à l’échelle nationale la part d’élèves ayant trouvé un stage », reconnaissait-il.
« Près d’un élève sur deux n’a pas trouvé de stage », selon le SE-Unsa
Cet ordre de grandeur est contesté par les organisations syndicales. Selon le SE-Unsa, « près d’un élève sur deux n’a pas trouvé de stage ». Dans certains établissements, « ce taux monte à 80 % », précise le Snes-FSU. La FCPE, représentant les parents d’élèves, a fait passer une enquête auprès de ses membres. « Les 2 700 réponses reçues montrent que seuls 25 % des élèves ont un stage », indique son président Abdelkrim Mesbahi.
Concurrence entre élèves
Aucun acteur interrogé ne remet en cause, sur le principe, le bien-fondé d’une expérience de découverte des divers milieux professionnels. Tous, en revanche, dénoncent une mise en place problématique.
« Tout d’abord, il y a le fait que les dates sont contraintes. Sur les deux dernières semaines de juin, il faut trouver 500 000 lieux de stage, souligne Agnès Andersen, proviseure de lycée et secrétaire générale de ID-FO. C’est extrêmement complexe, d’autant que sur cette même période, les élèves de la voie professionnelle, pour lesquels les stages font partie intégrante de la formation, sont également en entreprise. Cela engendre une concurrence entre élèves. »
Cette concurrence est particulièrement vive sur les territoires géographiques les moins richement pourvus en entreprises. En Essonne, où Valérie enseigne les sciences économiques et sociales, la plate-forme 1jeune1solution, lancée par le gouvernement en mars dernier pour diffuser des offres de stage, n’en recense qu’une vingtaine dans un rayon de 15 km autour de son lycée.
« Cela limite nos élèves : tous ne peuvent pas être logés à Paris, où il y a évidemment beaucoup plus d’opportunités. Au moins, cela me sert d’exemple pour mon cours sur les inégalités sociales et économiques… », rit-elle un peu jaune.
Un constat partagé par sa consœur de Cergy, Maria : « Dans ma classe bilingue espagnole, j’ai des extrêmes. Une élève va partir deux semaines en stage au Mexique, un autre va suivre sa mère qui fait le ménage en Ehpad… Cela révèle bien les différences entre ceux qui ont un réseau et ceux qui n’en ont pas. »
La plate-forme gouvernementale a pu aider certains de ces élèves à trouver des opportunités, mais la plupart ont dû faire appel à leurs proches, quitte à mettre de côté leurs propres projets d’orientation.
Entreprises absentes, enseignants saturés
D’autant que toutes les entreprises ne jouent pas le jeu, déplore Nathalie, qui ne décolère pas. Sa fille s’est pourtant démenée pour trouver un stage :
« Elle a envoyé une dizaine de candidatures, toutes refusées. J’ai aussi demandé autour de moi, mais là encore, ça a fait chou blanc. Les entreprises ne sont pas intéressées par les stages d’observation. »
Enseignante d’histoire-géographie à Courbevoie et professeure principale de deux classes de seconde, Cécile nuance ce tableau : « 95 % de mes élèves ont trouvé un stage. Il faut dire que j’ai battu le rappel tout au long de l’année, dès le mois de novembre. »
Elle a aussi pu compter sur un partenariat entre son établissement et une association d’anciens professionnels, lesquels sont intervenus lors des heures dédiées à l’orientation pour aider les jeunes à rédiger lettres de motivation et CV.
« C’est bien pour les élèves d’avoir pu être accompagnés, mais l’on ne va pas se mentir, il s’agit d’une charge de travail supplémentaire pour les enseignants. »
« Les personnels administratifs ne sont pas en reste. Il faut du temps pour vérifier les centaines de conventions », Agnès Andersen, secrétaire générale de ID-FO
Elle qui a commencé le métier en 1999 constate qu’année après année, « on en demande plus » : « Par manque de temps, je n’ai même pas pu solliciter les parents pour demander si certains avaient des possibilités de prendre des stagiaires dans leurs entreprises. Ce sera pour l’année prochaine. »
« Les personnels administratifs ne sont pas en reste, insiste Agnès Andersen. Il faut du temps pour vérifier les centaines de conventions signées. »
Se pose aussi la question de ce que vont faire, durant deux semaines, les élèves qui n’ont pas de stage. « L’Education nationale doit pouvoir proposer un parcours autour de l’orientation qui ne mobilisera pas les professeurs en charge de l’organisation du baccalauréat », répond Edouard Geffray.
Le directeur général de l’enseignement scolaire invoque la mobilisation des CIO (centres d’information et d’orientation) et des psychologues de l’Education nationale, ainsi que le parcours dédié à l’orientation et à la découverte des métiers mis en place par l’Onisep sur la plate-forme Avenir(s).
Stages Netflix ou expériences subies
Mais, là encore, les consignes sont floues et la mise en place interroge. « On ne peut laisser les élèves sans encadrement, livrés à eux-mêmes au sein de l’établissement qui en est responsable », souligne Maria.
A cette période de l’année, les examens prennent beaucoup de temps et de salles de classe. « Et lorsqu’il va falloir accueillir 200 élèves, pas sûr que le CDI suffise… », grince l’enseignante. Même inquiétude du côté d’Agnès Andersen :
« Les professeurs vont surveiller les épreuves, la vie scolaire sera occupée à gérer les inscriptions, et tout le monde sera occupé à préparer la prochaine rentrée. Le mois de juin est déjà très chargé dans nos établissements ! Alors ajouter à ça l’accueil des élèves sans stage… »
Abdelkrim Mesbahi, lui, ne se fait que peu d’illusion : les élèves sans stage resteront chez eux. « Ce sera Netflix le grand gagnant ! », s’indigne le président de la FCPE. Son propre fils n’a pas trouvé de stage. Lui qui était intéressé par l’informatique a dû élargir ses recherches. « Il a cherché partout où on pouvait vouloir de lui. Il a vu une offre, dans une école primaire. »
Dans un courrier du 17 mai, le rectorat de Rennes enjoint aux directeurs d’école de prendre un stagiaire de seconde via la plate-forme 1jeune1solution
C’est la dernière trouvaille du ministère : dans un courrier datant du 17 mai et dévoilé sur X, le rectorat de Rennes enjoint aux directeurs d’école de prendre un stagiaire de seconde via la plate-forme 1jeune1solution.
« La boucle est bouclée, assure Abdelkrim Mesbahi. Pourquoi pas après tout, si l’élève envisage de devenir enseignant ? Mais cela ne doit pas être une solution d’urgence pour caser ceux qui n’ont pas de stage. Une expérience subie, dans un secteur qui n’intéresse pas le jeune concerné, à quoi bon ? »
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