Quelles contreparties pour les aides à la restructuration ?
Les organismes de prévision et d’analyse économique sont formels. En matière de faillites et fermetures d’entreprises, le pire est devant nous. Altares Dun & Bradstreet note l’augmentation du nombre de procédures collectives depuis la rentrée ; l’Observatoire français des conjectures économiques anticipe la disparition de 100 000 entreprises et de 250 000 emplois ; l’Observatoire de l’emploi et de l’investissement Trendeo rend compte du déséquilibre croissant entre les annonces de créations et de destructions d’emploi, l’écart se creusant au profit de ces dernières. Enfin, la presse quotidienne et les magazines économiques relaient, presque au quotidien, les fermetures d’établissements provoquant la mise au chômage de centaines de salariés, l’arrêt de l’activité d’autant d’intérimaires et les difficultés à venir dans les entreprises sous-traitantes et l’ensemble du territoire sur lequel elles sont implantées.
Un répit temporaire
Les mesures adoptées par l’Etat (fonds de solidarité pour les très petites entreprises, activité partielle de longue durée, prêts garantis par l’Etat, augmentation du délai de constatation du défaut de paiement, etc.) et les régions ont permis d’atténuer les tensions sur la trésorerie et le résultat d’exploitation. Pourtant, nombre de commentateurs annoncent que ce répit n’est que temporaire et que le mur des faillites est devant nous. Face à ces chiffres globaux, une question se pose. Ces fermetures ont-elles une cause unique, le coronavirus ? Elle se prolonge par des interrogations sur les effets à attendre des mesures mises en œuvre pour aider les entreprises, d’abord au printemps dernier puis dans le cadre du plan de relance.
Les fermetures de sites et les faillites advenues ou annoncées ne sont finalement peut-être pas toutes dues au Covid-19
Ces questions sont d’autant plus justifiées que les fermetures de sites et les faillites advenues ou annoncées ne sont finalement peut-être pas toutes dues au Covid-19. Un examen rapide des opérations de suppression d’emplois rend compte de trois types de situations. La première correspond aux entreprises dont la réduction d’activité est directement liée à la crise. De manière générale, le commerce de détail, le secteur des transports ou la fabrication de matériel de transport, ont directement été touchés par la baisse de l’activité en Chine d’abord et le confinement ensuite. Le financement de l’activité partielle et les prêts garantis par l’Etat sont des remèdes appropriés à ce type de problèmes dans le sens où ils limitent les charges des entreprises et, par conséquent, réduisent leur risque d’illiquidité et d’insolvabilité.
La deuxième catégorie de fermetures de sites et de licenciements correspond à des entreprises que l’on pourrait qualifier d’opportunistes. Elles avaient déjà préparé des plans de réduction de leur activité au second semestre 2019, voire avant, et profitent de l’opportunité offerte par la crise pour les mettre en œuvre en espérant ne pas susciter trop de soupçons. L’annonce par Nokia de la suppression de 1 233 emplois dans sa filiale Alcatel-Lucent, soit un tiers des effectifs de cette entreprise en France, au mois de juin dernier est emblématique de ce type de pratiques. La situation actuelle du monde des télécommunications n’est pas mauvaise. Le confinement a même suscité une forte demande en termes de trafic, multipliant le trafic habituel par trois, ce qui conduit, alors que les bénéfices du groupe sont à la hausse, à s’interroger sur la nécessité d’aider Nokia qui parle de « rationalisation de ses activités en France dans le cadre d’un programme mondial ».
Effets d’aubaine
La troisième catégorie de réduction de périmètres d’activités est typique des effets d’aubaine que peuvent susciter les mesures d’aides mises en place. Relèvent de cet ensemble les entreprises qui, comme Sanofi, ont annoncé des suppressions d’emplois (1 700 en Europe, dont un millier en France) alors même que leur chiffre d’affaires est en hausse. Faisant suite à de nombreuses opérations du même genre, ces plans s’inscrivent dans la stratégie de délocalisation du groupe qui peut alors bénéficier d’aides pour mettre en œuvre son projet à moindres frais. Certaines opérations, tels les licenciements annoncés par le fabricant de pneus Bridgestone relèvent des deuxième et troisième types à la fois. L’entreprise a sciemment stoppé les investissements dans son établissement français, signe de sa volonté de le fermer, et profite de la crise actuelle pour l’annoncer publiquement.
Toutes les entreprises ont accès aux mêmes types de dispositifs de soutien, quelle que soit leur situation et leur stratégie
Or, en l’état, toutes les entreprises ont accès aux mêmes types de dispositifs de soutien, quelle que soit leur situation et leur stratégie. Par exemple, le financement de l’activité partielle de longue durée est uniquement conditionnée par le fait que l’entreprise ne fraude pas, ce qui semble être un minimum, et que les salariés concernés ne sont pas licenciés. Le droit européen qui interdit les aides aux entreprises, sauf lorsqu’il s’agit de mesures générales de soutien qui ne risquent pas de perturber la concurrence, entrave la mise en place de critères de sélectivité. L’égalité qui en résulte est purement formelle car les plus grandes entreprises, dotées d’une importante ingénierie juridique, sont nettement avantagées par rapport aux PME familiales pour accéder à ces aides qu’elles peuvent utiliser pour réaliser leurs opérations de restructuration aux frais de la collectivité. Ne serait-il alors pas temps de se demander si les licenciements et délocalisations opérés par les groupes méritent vraiment d’être financés par l’impôt ou si, au contraire, l’introduction de contreparties, comme le renoncement aux dividendes de la part des actionnaires, ne devrait pas être considérée lorsqu’ils sont massivement aidés ? Source
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