Emmanuel Macron rattrapé par la deuxième vague
Deux vagues, deux ambiances. Et pourtant une même réalité : rien ne résiste à l’épidémie de Covid. Le chef de l’Etat, qui a annoncé mercredi un reconfinement généralisé, est rattrapé par la patrouille. Et plus vite que ça. Jamais les Français n’ont disposé d’aussi peu de temps, presque 24 heures chrono, pour regagner dare-dare leurs pénates.
Vouloir relancer l’activité économique au plus vite et la maintenir le plus longtemps possible, feindre de croire que nous échapperions à une deuxième réplique, alors que l’histoire des épidémies et les mises en garde répétées des scientifiques nous prouvent le contraire, était une bataille perdue d’avance face à un virus qui n’a jamais cessé de circuler.
Parapluie XXL
Dès le premier acte du confinement, la question ne s’était pourtant pas posée, la protection de la santé avait prévalu. On se souvient du « quoi qu’il en coûte » présidentiel. On se souvient des débats sur les salariés en première ligne contraints de s’exposer, des interrogations, y compris au sein des organisations syndicales, sur les activités indispensables et celles qui ne l’étaient pas. Une occasion fugace de rendre le travail visible, de comprendre à quel point le joli Meccano se grippe dès lors que ses rouages essentiels ne fonctionnent plus.
Une occasion manquée de repenser le travail, mais là n’était pas l’urgence faut-il croire. On pourra toujours reprocher au gouvernement d’avoir poussé à la reprise d’activité, d’avoir tordu le bras aux fédérations de la construction pour que les ouvriers remontent au plus vite sur les échafaudages.
Mais force est de constater qu’il a ouvert le parapluie XXL. Le télétravail à haute dose est devenu la norme, les vannes de l’activité partielle se sont ouvertes en grand, la Sécu a vu pleuvoir les arrêts de travail, y compris pour les parents tenus de garder un enfant confiné. Pour la reprise, on verrait après. La santé d’abord.
Il fallait bien que reprise se fasse
Le ton a changé dès l’acte 2 du déconfinement. Certes, devant une pluie de mauvais chiffres, il est devenu nécessaire que des secteurs se relèvent et que des millions de travailleurs, surtout parmi les plus jeunes fraîchement débarqués sur un marché du travail hostile, puissent trouver un boulot. Le travail, quoi qu’il en coûte, s’est imposé. Les entreprises ont amélioré leurs pratiques des gestes barrières, fourni masques et gel en quantité. Mi-octobre, alors que le danger se précisait, elles ont reçu leur quatrième nouveau protocole sanitaire.
Dès le déconfinement, le travail, quoi qu’il en coûte, s’est imposé
Mais à la différence du premier confinement, point de généralisation du télétravail. Dans les zones de couvre-feu, les employeurs étaient juste tenus de négocier un jour au moins de télétravail par semaine pour les postes qui le permettent. Une obligation très souple, de l’ordre de la recommandation.
Quand les protocoles sanitaires printaniers et autres questions-réponses de la rue de Grenelle, sans valeur juridique, faisaient pourtant office de parole d’évangile, c’est le « dialogue social » tant réclamé par les organisations syndicales que le gouvernement a revendiqué. Tant pis si nombre d’employeurs, peu allants, joueraient a minima la carte du travail à distance. Il fallait bien que reprise se fasse.
Du côté de l’hôpital, les soignants se sont émus de voir des collègues testés positifs au Covid, mais asymptomatiques, revenir travailler en mode « dégradé » dès lors qu’il s’agit d’un personnel non remplaçable.
Pendant cette période d’accalmie, d’entre-deux-confinements, la santé, « parce que ça coûte », a été reléguée au second plan. L’épisode des travailleurs vulnérables en a été l’avatar le plus criant. Lors du confinement, ces salariés et fonctionnaires atteints de cancers ou de pathologies respiratoires, rénales, cardiaques… et dans l’incapacité de télétravailler avaient droit au chômage partiel ou à un arrêt de travail. Leurs proches également. Mais dès la fin de l’été, le gouvernement a choisi de réduire les critères d’éligibilité de onze à quatre.
Mettre près de trois millions de salariés vulnérables en arrêt pouvait coûter jusqu’à 2,8 milliards d’euros par mois à l’Etat et 400 millions aux employeurs. Or, il fallait pouvoir « concilier » protection de la santé et reprise de l’activité, s’est justifié le ministère de la Santé. Une ligne de crête que n’a pas voulu emprunter le Conseil d’Etat. Mi-octobre, il a suspendu cette restriction jugée « incohérente ». Retour aux anciennes règles plus protectrices.
Un acte 3 critique
Dans ce nouvel acte 3, l’aggravation brutale de la situation sanitaire a remis les pendules à l’heure, plaçant le gouvernement devant des choix critiques. Emmanuel Macron n’a pas caché dans sa dernière allocution télévisée que la deuxième vague serait sans doute « plus meurtrière » que la première mais que l’économie ne devait « ni s’arrêter ni s’effondrer ».
Il y aura donc plus de salariés dans les rues et les transports en commun, alors que le virus circule lui aussi plus fortement. Crèches, écoles, collèges et lycées resteront ouverts, afin que les parents puissent travailler. Oubliés les cours en visioconférence de la première vague pour ces enseignants qui rejoindront les premières lignes sur le terrain. Pareil pour quantité de fonctionnaires dont les services publics garderont les guichets ouverts.
Emmanuel Macron n’a pas caché dans sa dernière allocution télévisée que la deuxième vague serait sans doute « plus meurtrière » que la première, mais que l’économie ne devait « ni s’arrêter ni s’effondrer »
Le lobbying des commerces « non-essentiels » pour qui l’approche de Noël est pourtant essentielle a échoué. Ils devront baisser le rideau quand les chantiers de construction, les usines et des pans entiers de l’économie seront toujours opérationnels. Dans les bureaux, le télétravail sera à nouveau imposé « partout où c’est possible », a déclaré le chef de l’Etat. Le gouvernement donnera les détails pratiques de ce reconfinement ce jeudi, mais ce changement de pied légitime plus que jamais la nécessité d’une véritable négociation sur le travail à distance, censée commencer début novembre.
Afin de contenir les conséquences sociales et sanitaires de la décision présidentielle, le maintien des conditions actuelles de chômage partiel (84 % du salaire net, 15 % de reste à charge pour l’employeur) va dans le bon sens. Tout comme le report des nouvelles règles de l’assurance chômage. Idem pour le renforcement des fonds de solidarité à destination des indépendants… Mais il y a encore des trous dans la raquette.
Faire en sorte qu’il y ait le moins possible de travailleurs précaires qui soient obligés de s’exposer pour survivre, va devenir une équation périlleuse à tenir ces prochaines semaines.
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