Climat : le test de sincérité d’Emmanuel Macron
Cinq ans après l’accord de Paris scellé le 12 décembre 2015, et alors que l’Union Européenne devrait renforcer son objectif de baisse d’émissions de gaz à effet de serre pour 2030, Emmanuel Macron restera-t-il figé dans l’immobilisme ? Après s’être engagé en juin dernier à reprendre sans filtre les propositions de la Convention citoyenne pour le climat, il tergiverse et semble vouloir remettre à plus tard la transformation nécessaire de notre économie pour la rendre plus résiliente.
Pourtant les rapports scientifiques appellent à accélérer l’action, comme celui de l’Organisation météorologique mondiale qui tire la sonnette d’alarme en indiquant que 2020 compte parmi les trois années les plus chaudes de l’histoire. Appuyer sur le frein accentue les risques pour les milieux et le vivant, mais c’est aussi un cadeau empoisonné pour les plus fragiles qui seront frappés plus durement par les conséquences du dérèglement climatique.
La Convention citoyenne pour le climat attaquée
La Convention Citoyenne pour le Climat a été mise en place pour être l’une des réponses au mouvement des gilets jaunes, lui-même né d’une opposition à la hausse du prix des carburants. Comment réduire les émissions de gaz à effet de serre tout en renforçant la justice sociale ? Tel était le mandat de la Convention qui a travaillé et débattu pendant 9 mois pour élaborer 149 propositions qui forment un socle cohérent et minimum pour répondre aux enjeux du dérèglement climatique, et ceci en s’efforçant de ne laisser personne de côté. Quelques jours après la publication de ces mesures, Emmanuel Macron déclarait : «Je m’y étais engagé, je tiens parole : 146 propositions sur les 149 que vous avez formulées seront transmises soit au gouvernement, soit au Parlement, soit au peuple français ».
Mais les attaques contre les propositions de la Convention se sont rapidement multipliées, venant même de membres du gouvernement, et ceci sans aucun recadrage du Premier ministre. La parole du président de la République a été régulièrement remise en cause. Etudes d’impact biaisées, collusion entre ministères et lobbies industriels pour attaquer les mesures de la Convention, réunions organisées pour faire admettre aux 150 citoyens que leurs propositions sont irréalistes, rien n’a été épargné pour contrecarrer l’engagement du chef de l’Etat, mettant en question sa propre sincérité.
Eternel argument, les mesures de la Convention citoyenne supprimeraient des dizaines voire des centaines de milliers d’emplois… chiffres non étayés, agités comme des chiffons rouges
Avec toujours le même argument, les mesures de la Convention citoyenne supprimeraient des dizaines voire des centaines de milliers d’emplois… chiffres non étayés, agités comme des chiffons rouges, et qui, focalisant sur les activités d’aujourd’hui, n’intègrent pas les emplois créés dans les activités en développement. Pourtant, les études convergent : la transition écologique créerait beaucoup plus d’emplois qu’elle n’en détruirait. Dans son récent rapport réalisé avec le soutien du cabinet EY, WWF France démontre qu’accélérer la transition écologique par une relance verte et dans des secteurs clés permettrait de soutenir plus d’un million d’emplois d’ici la fin du quinquennat. Ne pas s’engager fortement dans la transition écologique, c’est le risque de subir les plans sociaux liés aux impacts de la crise sanitaire, mais aussi de rater les créations d’emplois que la transition pourrait entraîner.
L’enjeu clé de la consommation
Il est temps de sortir des petits pas. Arrêter le chauffage sur les terrasses est une action symbolique utile, mais elle ne peut pas être l’alpha et l’oméga d’une politique de transition écologique. Mettre en place un malus sur le poids des véhicules à partir de 1,8 tonne, qui ne concernera quasiment aucun véhicule (la Convention citoyenne propose de le placer à partir de 1,4 tonne), ne peut pas être considéré comme une réelle avancée. Car, si officiellement aucun nouveau joker n’a été dégainé depuis les trois mesures retoquées par Emmanuel Macron en juin, il y a bien d’autres manières pour amoindrir, retarder ou affaiblir l’ambition des propositions. Sans être exhaustif, le Réseau action climat a ainsi identifié une trentaine de mesures qui sont pour le moment loin d’être à la hauteur des propositions de la Convention et font néanmoins partie des 51 mesures annoncées comme partiellement ou complètement mises en œuvre par le gouvernement.
Si Emmanuel Macron est sincère, il doit rappeler au gouvernement l’engagement qu’il a pris de transmettre au Parlement, sans les amoindrir ou les vider de leur substance, les propositions d’ordre législatif de la Convention, dont certaines particulièrement structurantes à la fois en termes de baisse des émissions de gaz à effet de serre, mais aussi de créations d’emplois et de réduction de la pauvreté.
L’enjeu de la consommation est clé. L’empreinte carbone des Français.e.s devrait être divisée par 6 d’ici à 2050 pour être compatible avec l’accord de Paris. Continuer à promouvoir des produits et services très émetteurs crée des injonctions contradictoires avec cet objectif. 4,3 milliards d’euros sont dépensés chaque année pour inciter à l’achat de voitures qui, pour la plupart, ont un impact très néfaste sur le climat et la qualité de l’air. Interdire la publicité des produits les plus émetteurs de gaz à effet de serre est une mesure de bon sens, soutenue par 80 % des Français. Accompagnée de dispositions réglementaires et fiscales pour engager les transformations nécessaires, elle peut avoir un impact certain sur les modèles vendus. Les modalités de sa mise en œuvre, en intégrant l’impact sur le financement des médias, doivent être étudiées, au même titre que cela a été le cas pour la loi Evin qui régule la publicité pour l’alcool et le tabac.
La rénovation des logements ne progresse pas car les mesures incitatives ne suffisent pas pour augmenter leur nombre et leur performance énergétique, tout en assurant que les ménages précaires en soient les premiers bénéficiaires
Dans le domaine des transports, l’enjeu est de se libérer au plus vite des énergies fossiles. Pour cela, les nouvelles motorisations sont nécessaires, mais pas suffisantes. Une réduction de la mobilité, par une poursuite d’une part de télétravail et une relocalisation des productions, et un renforcement du report modal vers les transports collectifs, le train et le vélo sont également indispensables. La Convention citoyenne pour le climat propose d’interdire dès 2025 la commercialisation de véhicules neufs très émetteurs, et de mettre en place un prêt garanti par l’Etat pour l’achat de véhicules peu polluants afin qu’ils soient accessibles aux ménages moins aisés. Les citoyen.e.s proposent également de mettre la fiscalité en cohérence avec les objectifs climatiques en supprimant progressivement les avantages fiscaux sur le gazole pour le transport routier de marchandises. Ils attendent des mesures fortes de réduction du trafic aérien et, en contrepartie, un plan d’investissement massif pour le transport ferroviaire.
Rénover le parc de bâtiments et respecter l’objectif zéro artificialisation nette en 2030 sont deux objectifs qui font consensus et sont essentiels pour réussir la transition écologique. Mais la rénovation des logements ne progresse pas car les mesures incitatives ne suffisent pas pour augmenter leur nombre et leur performance énergétique, tout en assurant que les ménages précaires en soient les premiers bénéficiaires. Le Convention propose une obligation progressive de rénovation énergétique globale des logements à partir de 2024. Pour rendre cette mesure juste, un système d’aides doit l’accompagner, allant jusqu’à une prise en charge quasi totale pour les ménages les plus modestes. Par ailleurs, une mesure structurante pour réduire l’artificialisation des sols est de favoriser le commerce de centre ville et de stopper les aménagements commerciaux périurbains.
Le moment de vérité
L’agriculture est devenue le 2ème secteur émetteur de gaz à effet de serre en France, après les transports, et avant le bâtiment. En cause, principalement le méthane des ruminants et le protoxyde d’azote des engrais azotés. L’enjeu est donc de réduire la consommation de produits animaux (viande, produits laitiers) et d’accompagner la mutation vers un élevage plus durable. Pour cela, la Convention citoyenne pour le climat propose de passer à un choix végétarien quotidien dans la restauration collective publique à partir de 2022, y compris pour les menus uniques, et de concevoir une nouvelle solidarité nationale alimentaire pour permettre aux ménages modestes d’avoir accès à une alimentation durable. Les 150 proposent aussi de taxer les engrais azotés de synthèse pour favoriser les alternatives et d’orienter les financements vers les élevages durables et non plus vers l’élevage industriel. Ils souhaitent également interdire l’importation des produits qui contribuent à la déforestation.
Enfin, la transition écologique, même si elle est créatrice nette d’emplois, doit s’accompagner de politiques de l’emploi ne laissant personne sans solution. La Convention propose d’anticiper les transformations sur le marché de l’emploi pour apporter les formations adaptées et d’accompagner la reconversion des entreprises et la transformation des métiers. C’est d’autant plus important que la crise sanitaire entraîne une hausse du chômage. Enfin, les pouvoirs publics doivent obliger les grandes entreprises à renforcer la transparence concernant leur empreinte carbone et à respecter des exigences environnementales plus fortes notamment en termes de baisse de leurs émissions afin de rendre leurs activités conformes aux objectifs de l’Accord de Paris sous peine de sanction financière. La publication d’un plan d’investissement devra assurer la cohérence entre l’objectif et les moyens mis en œuvre.
Les grands défis de la transition écologique et solidaire sont là. Les orientations du projet de loi devant retranscrire les propositions de la Convention citoyenne pour le climat sont présentées aux 150 et à des députés cette semaine. Ce texte sera transmis pour avis au Conseil national de la transition écologique mi décembre et devrait passer en conseil des ministres en janvier prochain pour un débat parlementaire qui débutera en mars. Ce sera la dernière occasion pour Emmanuel Macron de démontrer sa sincérité sur le climat, mais aussi sa réelle volonté de créer de nouveaux emplois non délocalisables et de réduire de manière pérenne la pauvreté.
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