Covid : la triple peine, pour la troisième fois
Le troisième confinement français, dont la sévérité est à la hauteur de l’aveuglement du gouvernement, aura été précédé d’un moment trumpien des plus inquiétants : déni et censure de la science, écran de fumée identitaire, pari sur l’indifférence de la population à la souffrance des malades et des soignants, cynisme à l’égard d’une hécatombe que l’on tente par tous les moyens de minimiser.
Une nouvelle fois – la troisième en un an – le gouvernement français a sciemment laissé se dégrader les indicateurs sanitaires au nom de la priorité donnée à la croissance, pour finalement perdre sur les deux tableaux. La réalité statistique est pourtant têtue : il n’y a pas d’arbitrage entre économie et santé, soit on préserve les deux, soit on abîme les deux. Le récent rapport de l’Institut Molinari montre que la France est le modèle même du pays de la double peine sanitaire et économique.
Il n’y a pas d’arbitrage entre économie et santé, soit on préserve les deux, soit on abîme les deux
Mais il manque à cette analyse une troisième dimension. Le véritable choix de politique publique face au risque pandémique oppose, en théorie, la santé physiologique à la santé psychologique (intégrant la question de l’éducation) : les politiques de confinement mises en œuvre dans l’urgence pour éviter des centaines de milliers de morts sont des politiques de désocialisation qui ont un coût exorbitant pour le bien-être.
Or, ici aussi, la notion d’arbitrage se révèle trompeuse. Considérons pour les 20 pays les plus touchés par la pandémie jusqu’ici (en termes de décès par habitant) trois indicateurs de santé : les morts par habitant, les infections par habitant et la sévérité des politiques de confinement, évaluée sur une échelle de 0 à 100. Ce dernier indicateur fait ici figure de mesure de la désocialisation imposée et, par contrecoup, de dégradation de la santé mentale (voir tableau ci-dessous).
On peut distinguer deux niveaux d’interprétation de ces données. Sur le plan mondial, la surprise vient sans doute de la surreprésentation de deux groupes de pays qui forment 60 % de l’ensemble : d’une part, les pays d’Europe centrale et orientale, alors qu’ils avaient largement échappé à la première vague du Covid ; d’autre part, les pays d’Amérique du Sud, dont la première vague a été différée.
Pour ce qui est de la France, on observe un chiasme entre les morts par habitant et les infections par habitant : le pays est en 16e position selon le premier indicateur mais en 6e position selon le deuxième. Cela signifie notamment que la France est parvenue à réduire considérablement son ratio infections-décès, qui était parmi les plus hauts du monde lors de la première vague. L’écart entre ces deux indicateurs peut être interprété comme l’écart entre l’inefficacité chronique des politiques sanitaires à contenir les infections et l’efficacité cumulative du système de soin à contenir leur létalité.
Faux paradoxe
Mais, plus fondamentalement, se fait jour un paradoxe qui n’en est pas un : les pays qui ont le plus durement réprimé les libertés ne sont que marginalement parvenus à contenir les infections et les décès, alors même que les politiques de confinement se sont avérées particulièrement efficaces pour casser les vagues successives de la pandémie à travers le monde.
Ce paradoxe s’explique par la temporalité des politiques de confinement : les pays qui ont été le plus touchés sur le plan de la santé physiologique ont été ceux qui ont laissé se dégrader les infections (inévitablement suivies de l’accélération des décès) avant de devoir brutalement restreindre les libertés, infligeant une double peine sanitaire (physiologique et psychologique) et une triple peine (sanitaire et économique) à leurs populations. La France occupe ainsi le 11e rang mondial pour ce qui est de la sévérité de ses politiques de confinement sans avoir pu contenir des infections galopantes lors de chacune des trois vagues.
La France occupe ainsi le 11e rang mondial pour ce qui est de la sévérité de ses politiques de confinement sans avoir pu contenir des infections galopantes
Dans l’analyse qu’ils proposent de leurs propres données sur les douze mois écoulés depuis mars 2020, les chercheurs d’Oxford désignent ainsi six pays incapables de concevoir une stratégie efficace et cohérente contre le Covid et de ce fait ballotés d’une vague à l’autre : les Etats-Unis, le Royaume-Uni, l’Afrique du Sud, l’Iran, le Brésil et la France. On peut choisir de les appeler les pays « zéro stratégie Covid ».
Les chercheurs insistent à l’inverse sur la réussite sanitaire et économique de pays nettement moins bien dotés en capacités sanitaires, comme la Mongolie, la Thaïlande ou le Sénégal. Sans parler de la Nouvelle-Zélande, dont l’indice de sévérité des politiques de confinement aura été de 60 % inférieur à celui de la France depuis le début de la pandémie avec une mortalité par habitant 300 fois moindre.
Non seulement il n’y a pas d’arbitrage entre santé et économie, mais il n’y a pas non plus d’arbitrage entre santé mentale et santé biologique. C’est un enseignement essentiel pour l’avenir : santé, bien-être et coopération sociale forment un tout.
Ratage complet
Pour l’heure, les décès s’accélèrent en France et nous déplorerons très vite 100 000 vies perdues, que tous les exercices statistiques de compensation virtuelle ne masqueront pas. Cela signifie notamment que la France est un des pays du monde où la troisième vague aura été plus meurtrière que la deuxième qui fut plus meurtrière que la première, dans un scénario plus dégradé que celui de la pandémie de 1918-1919.
Mais l’échec du gouvernement est véritablement systémique. Il y a six moments clés dans cette pandémie : la première vague, les masques, les tests, la deuxième vague, les vaccins et la troisième vague. Certains pays ont tout réussi, comme la Nouvelle-Zélande. D’autres n’ont réussi que certaines phases (l’Allemagne a réussi la première vague, les masques et les tests, mais pas la deuxième, les Etats-Unis comme le Royaume-Uni ont raté les masques et les tests mais spectaculairement réussi la vaccination). La France est l’un des seuls pays au monde à avoir tout raté.
Le prix à payer quand des politiques d’intelligence collective se décident à la première personne du singulier.
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