Les dangers du libéralisme autoritaire macronien
Le président de la République et son gouvernement trouvent à l’évidence que l’économie française est victime de trop d’étatisation, au sens d’une socialisation trop grande des revenus. Pour être financée, cette socialisation réclame des impôts, ce qui est à leurs yeux une sorte de mal absolu contre lequel il faut lutter, en particulier parce qu’elle entame la rentabilité et la compétitivité des entreprises, une politique résumée par le vocable « politique de l’offre ».
De là découlent trois orientations clés mises en œuvre depuis 2017.
Il y a d’abord la baisse continue des impôts, poursuivie avec constance. Jusqu’au moment où la crainte d’une dégradation de la note de la dette française par les agences de notation est utilisée pour étaler les baisses (impôts de production) ou les repousser (baisse de la taxation de l’héritage).
Suit également tout le discours sur la nécessaire diminution des dépenses publiques, notamment les dépenses sociales. Celles de l’indemnisation des chômeurs, celles consacrées aux retraites, de nouveau les allocations chômage, pour les seniors cette fois. Le ministre des Finances, Bruno Le Maire, le répète depuis la présentation du budget 2024, il faudra « revoir nos choix fondamentaux en matière de politique sociale », notre pays ne pouvant pas continuer « à budget social constant ». On n’en a donc pas fini avec la remise en cause du modèle social français.
Enfin, le Président mène la lutte contre les partenaires sociaux. Son propos depuis 2017 consiste à les présenter comme nuisibles et à chercher à les affaiblir pour contribuer à affaiblir le pouvoir des salariés qui, par essence, sont plutôt favorables à la redistribution. La façon dont ils ont été méprisés lors du conflit des retraites en est l’exemple le plus frappant, mais pas le seul.
Un boulevard pour le bloc libéral-national
Toute cette politique trouve une justification historique dans les écrits de l’intellectuel allemand conservateur Carl Schmitt. S’exprimant devant le patronat allemand en 1932, Schmitt déroule exactement les arguments qui viennent d’être exposés. Il se voit gratifier en retour d’un texte remarquable, écrit par son compatriote Hermann Heller, un intellectuel de gauche qui pointe la menace d’un libéralisme autoritaire. Plus de 90 ans plus tard, la réforme des retraites, les 49.3 à répétition, la remise en cause des partenaires sociaux, le refus de prendre en compte une partie des oppositions, en illustrent la manifestation.
La France reste une démocratie : nos dirigeants sont élus, il existe des contre-pouvoirs. Mais le libéralisme autoritaire, parce qu’il est anti social, parce qu’il nourrit les inégalités, parce qu’il met l’Etat au service des riches et des entreprises, nourrit le populisme nationaliste. Ce qui entraîne la dérive droitière des libéraux autoritaires, comme l’ont montré les odieuses décisions du Sénat sur la loi immigration, en même temps que le nationalisme violent se cache de moins en moins et n’hésite plus à faire entendre de plus en plus fortement ses bruits de bottes sans que notre gouvernement s’en émeuve.
Les émeutes du 6 février 1934 avaient poussé une gauche divisée à s’unir pour bâtir un programme qui allait aboutir à la victoire du Front populaire. Notre situation actuelle est deux fois plus dangereuse. Les nationalistes n’envoient pas leurs troupes pour prendre l’Assemblée de force, ils se normalisent pour la prendre de l’intérieur. Et une partie de la gauche ne semble pas considérer que le danger soit tel qu’il vaille la peine de s’unir.
Pour reprendre les catégorisations du dernier livre de Julia Cagé et Thomas Piketty, un boulevard s’ouvre pour un bloc libéral-national – alliance de l’électorat Macron-LR-Zemmour-RN, anti-Etat social et hostile aux immigrés – dont le libéralisme autoritaire macronien est en train de paver le chemin.
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