« Macron a perdu la tête » : la presse européenne très sévère après l’annonce de la dissolution
« Macron a perdu la tête », titrait le grand quotidien allemand de gauche Süddeutsche Zeitung au lendemain du scrutin européen. « Macron fait cavalier seul », pouvait-on lire à la une de l’autre grand quotidien, de centre droit, Frankfurter Allgemeine Zeitung. Michaela Wiegel, correspondante en France, écrit, dans le prolongement de la phrase prononcée par Macron lors de son discours sur l’Europe du 25 avril à la Sorbonne, « l’Europe est mortelle, elle peut mourir » : « Mais on ne se doutait pas que le coup de grâce serait donné par la France. »
« La France politique est au bord de la crise de nerfs », écrit quant à lui Matthias Krupa, correspondant de Die Zeit en France, l’hebdomadaire de centre gauche, le plus lu en Allemagne, en reprenant le titre d’un film de Pedro Almodovar. « Le Président risque de couler dans le chaos qu’il a créé (…) Le macronisme est resté dans le flou idéologique. Les prochaines élections législatives seront également une fin de partie pour Macron », écrit-il. « Les grands partis politiques allemands sont inquiets. Pour l’Europe, pour les relations franco-allemandes, pour la politique vis-à-vis de l’Ukraine », résume le journaliste allemand, joint par téléphone.
Même si le coup de poker de Macron a immédiatement tenté l’opposition, une « élection anticipée en Allemagne n’est pas possible, car ni le Président ni le chancelier ne peuvent constitutionnellement parlant dissoudre le parlement ».
Un Brexit de la France mais sans sortie de l’UE
« Réveillons-nous ! Suite à ces élections, l’Europe est de nouveau en danger », s’alarme l’éditorialiste Timothy Garton Ash dans le quotidien britannique The Guardian. « Ne soyez pas, s’il vous plaît, rassurés par la déclaration de la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen selon laquelle « le centre tiendrait bon » à l’annonce du résultat de ce que l’on pourrait appeler le E-day – le 9 juin 2024 (…). Aucun des partis eurosceptiques ne sera assez stupide pour préconiser de suivre le Brexit britannique en essayant le Frexit, le Dexit ou le Nexit », assure-t-il.
« Les partis eurosceptiques continueront à tirer l’UE vers la droite de l’intérieur »
« Au contraire, ils continueront à tirer l’UE vers la droite de l’intérieur, en adoptant une position encore plus dure sur l’immigration, en s’opposant résolument aux mesures vertes nécessaires pour faire face à la crise climatique, en réduisant le soutien à l’Ukraine et – aussi nationalistes qu’ils soient – en récupérant le contrôle national de Bruxelles. La situation est grave et pourrait encore s’aggraver. »
« Notamment en France, où la situation est la plus dramatique », estime l’éditorialiste. « La confiance en soi, toujours étonnante, de Macron s’est muée en orgueil démesuré… Il s’agit d’un pari énorme, qui compte sur l’excellent système électoral français à deux tours pour que les électeurs de la plupart des circonscriptions préfèrent un autre candidat à celui du RN lors du second tour décisif. Mais compte tenu de l’ampleur de la colère populaire, il existe un risque sérieux que, trois jours seulement après que la Grande-Bretagne ait obtenu un gouvernement de centre gauche pragmatique et très prudemment pro-européen lors des élections du 4 juillet, la France ait un gouvernement de droite dure eurosceptique, liant les mains de Macron, le principal défenseur d’une Europe plus forte sur le continent. Si c’est le cas, ce serait le Brexit de la France, mais sans la sortie qui en résulterait », conclut-il.
Jon Henley, correspondant en France du quotidien britannique, renchérit :
« Macron semble calculer que s’il peut dramatiser le choix auquel les Français sont confrontés, les enjeux prendront une autre dimension (…) Dans un autre pays, à une autre époque, un appel passionné aux valeurs démocratiques et républicaines face à un parti d’extrême droite qui, malgré son intégration, reste profondément anti-européen, favorable à Moscou, nataliste et autoritaire, aurait pu fonctionner. Mais l’extrême droite est aujourd’hui largement normalisée en Europe, le RN de Le Pen n’a jamais été aussi largement populaire – et les électeurs de gauche ont peut-être été invités une fois de trop à se “boucher le nez” et à voter pour un parti qu’ils n’aiment pas beaucoup afin de le tenir à distance »
Macron a toujours dansé un dangereux tango avec le RN
En Espagne, le quotidien El Diario se demande pourquoi Macron fait un tel saut dans le vide. « La démarche de Macron – que certains comparent à celle de Pedro Sánchez après sa débâcle aux élections municipales et régionales de 2023 – est risquée (…). Si l’extrême droite parvient à devenir le plus grand groupe parlementaire après les prochaines élections, il est presque certain que Macron nommera un Premier ministre d’extrême droite et que la France tombera dans cette cohabitation. »
Le quotidien El Confidencial met également en garde : « Ce sera l’une des campagnes les plus courtes de l’histoire du pays », alors que « les sondages donnent désormais l’avantage au RN, qui est prêt à tout pour prendre la tête de la politique française ».
Emmanuel Macron n’avait-il « pourtant pas semé les germes de cette ultime disruption ? », interroge le quotidien belge Le Soir. C’est à l’hiver dernier que « se joue le prélude du séisme actuel », rappelle Joëlle Meskens, correspondante du quotidien à Paris.
« Incapable de faire voter une loi équilibrée sur l’immigration, Emmanuel Macron durcit un texte validant le concept frontiste de “priorité nationale”. Il est finalement voté par Marine Le Pen. Une première manche remportée par le RN ».
« Dès 2017, le Président manie une ambiguïté redouble. Côté pile, il pourfend le RN. Côté face, il ne l’ostracise pas »
La seconde est décrochée ce dimanche, poursuit-elle, quand le Président, « en décidant de dissoudre, satisfait à l’exigence de son adversaire. Emmanuel Macron a toujours dansé avec le RN un dangereux tango. Il n’a jamais voulu le combattre sur le plan moral (…) analyse-t-elle.
« Dès 2017, le Président manie une ambiguïté redoutable. Côté pile, il pourfend le RN. Côté face, il ne l’ostracise pas. Il affiche une proximité avec l’identitaire Philippe de Villiers, qui finit par rejoindre Eric Zemmour. Il porte un culte à Jeanne d’Arc, celle que célèbre l’extrême droite. Il accorde une longue interview à Valeurs actuelles, l’hebdo de l’ultra-droite. »
Si aucune majorité ne se dégage dans un mois, « après avoir pulvérisé le paysage politique et que le pays s’enfonce dans la crise, Emmanuel Macron n’aura plus grand-chose à sa disposition pour faire disruption. Si ce n’est sa propre démission », conclut Joëlle Meskens.
Institutionnalisation de l’extrême droite
« Emmanuel Macron et Marine Le Pen ont besoin l’un de l’autre : c’est en réalité la cohabitation qui dure depuis un certain temps déjà et c’est le principal “pacte avec le diable” quoi qu’en dise le Président », écrit Francesca de Benedetti, chef de service Europe de Domani, quotidien de centre gauche italien, récemment pris pour cible par le gouvernement Meloni.
« L’institutionnalisation de l’extrême droite se poursuit à Paris comme dans l’Union européenne, et sans la complicité ou les illusions de la droite considérée comme libérale, elle n’aurait pas été possible. Depuis des années, le Président censé promouvoir le grand centre ne fait que polariser de plus en plus le paysage politique français pour crier “aux extrêmes”. Le libéral charismatique pro-européen qui promettait de stopper la progression de l’extrême droite ne fait qu’ouvrir l’espace à un Rassemblement national qui grandit en consensus – et dans les institutions – d’élection en élection. Marine Le Pen n’est pas inarrêtable, mais Macron ne l’arrêtera pas, loin de là. »
Pour la journaliste italienne, le Président a déjà coupé le cordon sanitaire depuis longtemps, et de plusieurs façons. « Après avoir demandé à plusieurs reprises à l’électorat de gauche de voter en fonction d’un cordon qu’il viole lui-même, Macron formule maintenant un chantage moral : non seulement ceux qui soutiennent Le Pen, mais aussi ceux qui soutiennent la gauche sont des traîtres envers leur pays. Et quelle alternative propose-t-il ? Alors que les Lepéniens tentent de se montrer de plus en plus présentables, les Macroniens endossent de plus en plus les traits d’une droite illibérale ; jusqu’à ce qu’il soit de plus en plus difficile de distinguer leurs destins », tranche Francesca de Benedetti.
Si, à l’échelle du continent, « les élections européennes n’ont peut-être pas débouché sur la pire forme de déferlante droitière, ce n’est qu’un soulagement doux-amer », s’inquiète la politologue italienne Nathalie Tocci, directrice de l’Istituto Affari Internazionali, dans une analyse pour The Guardian. Car c’est dans les deux plus grands pays d’Europe que la poussée de l’extrême droite s’est fait le plus sentir : « Les cartes électorales de la France et de l’Allemagne sont stupéfiantes. La victoire du Rassemblement national de Marine Le Pen sur la carte de France est omniprésente. »
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