A l’école, la bataille des stéréotypes fait rage
Le système scolaire est à la fois un vecteur de reproduction des stéréotypes de genre et un lieu où on peut lutter pour plus d’égalité. On le voit notamment avec les manuels.
Le Centre Hubertine-Auclert en Ile-de-France leur a consacré cinq études entre 2011 et 2018 dans différentes disciplines. Il apparaît ainsi que les femmes y sont beaucoup moins présentes que les hommes. Quand elles apparaissent, leur rôle est souvent minimisé. Ainsi, dans les manuels d’histoire, les femmes ne sont pas mentionnées dans le corps des chapitres mais dans des espaces annexes.
Autre exemple, leur rôle économique est invisibilisé et elles sont encore massivement représentées dans la sphère privée. Dans les manuels de sciences, les femmes scientifiques sont associées avant tout aux travaux de leurs maris, comme Marie Curie à ceux de Pierre Curie, alors qu’elle a eu deux prix Nobel…
Des recherches ont montré que les enseignants donnaient plus volontiers la parole aux garçons qu’aux filles
Par ailleurs, des recherches ont montré que les enseignants donnaient plus volontiers la parole aux garçons qu’aux filles. La professeure en sciences de l’éducation Nicole Mosconi avait ainsi mesuré il y a déjà vingt ans que les enseignants ont en moyenne 56 % de leurs interactions avec les garçons et 44 % avec les filles, notamment pour rappeler les premiers à l’ordre.
Dans la cour de récréation aussi règne souvent un partage de l’espace très inégalitaire avec, typiquement, les garçons qui jouent au foot au centre et les filles à l’élastique à la périphérie.
Une formation insuffisante
« L’école est dans la société : élèves et enseignants portent avec eux des stéréotypes genrés », rappelle la sociologue Marie Duru-Bellat. Lorsqu’ils sont interrogés, les personnels éducatifs estiment pourtant le plus souvent ne pas faire de différence et ne pas exercer de discrimination en fonction du genre de leurs élèves.
Une des principales façons de lutter contre les stéréotypes est donc de permettre aux différents acteurs d’en prendre conscience, via la formation.
Le code de l’éducation rappelle désormais que la transmission de la valeur d’égalité entre les filles et les garçons doit se faire dès la primaire. Pour cela, des conventions interministérielles de cinq ans sont signées depuis 1984, prévoyant notamment le développement de formations pour les personnels éducatifs.
Mais ce n’est que depuis la rentrée qu’un module obligatoire de dix-huit heures sur l’égalité est inscrit dans le programme de première année des instituts nationaux supérieurs du professorat et de l’éducation (Inspé).
« Dix-huit heures pour agir vraiment sur les représentations et les gestes professionnels ne suffisent pas ! », estime la chercheuse Françoise Vouillot.
Puis, une fois en charge d’une classe, « ce sont les enseignants vraiment motivés qui en parlent. Personne ne leur reprochera de ne pas traiter le sujet », constate Marie Duru-Bellat.
On observe même des résistances à ces enseignements, comme l’a montré l’expérimentation des « ABCD de l’égalité », un outil de formation mis à la disposition des enseignants en 2013-2014 par Najat Vallaud-Belkacem, alors ministre des Droits des femmes, dans une dizaine d’académies.
« Les groupes extrémistes religieux ont fait un tollé », se souvient Françoise Vouillot, qui évoque des parents qui manifestaient avec des pancartes « Touche pas à mes stéréotypes » !
Avec l’entrée en vigueur du nouveau bac Blanquer en 2019, le caractère genré de l’orientation scolaire a été accentué
Or, on sait que ces derniers sont également « nocifs pour les garçons », remarque Marie Duru-Bellat, puisqu’ils sont poussés dans les milieux populaires à l’indiscipline et à une moindre réussite scolaire par des valeurs virilistes.
Les cours d’éducation sexuelle devraient également être un outil pour l’égalité et la lutte contre les violences. Mais par manque de temps et de moyens, cet enseignement reste insuffisamment réalisé, bien qu’il ait un caractère obligatoire.
Les effets du bac Blanquer
Malgré ces actions tous azimuts, les stéréotypes sont loin d’avoir dit leur dernier mot. C’est particulièrement vrai en matière d’orientation.
Avec l’entrée en vigueur du nouveau bac Blanquer en 2019, actant la disparition des séries S, ES et L pour être remplacées par des enseignements de spécialité, le caractère genré de l’orientation scolaire a été accentué, selon une récente note de la Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (Depp).
En 2023, en terminale, les filles représentent seulement 37 % des élèves ayant choisi la combinaison mathématiques / physique-chimie, contre 86 % pour humanités, littérature et philosophie (HLP), langues, littératures et cultures étrangères et régionales (LLCER).
De ce fait, elles se dirigent moins souvent vers les classes préparatoires scientifiques et représentent moins d’un tiers des effectifs des écoles d’ingénieurs, qui mènent aux professions les mieux rémunérées.
L’économiste Rachel Silvera, maîtresse de conférences à l’université Paris-Nanterre, évoque un plafond de verre dans ces formations où, malgré de nombreuses campagnes d’information dans l’Education nationale, les filles ne parviennent pas à dépasser le chiffre de 30 % des effectifs.
Inversement, au sein de l’enseignement professionnel, on les retrouve massivement dans des filières du tertiaire comme la coiffure et l’esthétique (97 %), l’habillement (90 %), le sanitaire et social (89 %)…
Elles travaillent ensuite très souvent dans des métiers dont on estime, à tort, qu’ils prolongent leurs aptitudes naturelles à l’éducation et au soin, des métiers souvent mal payés où les compétences mobilisées ne sont pas reconnues à leur juste valeur : assistantes maternelles, aides-soignantes, infirmières…
Les mécanismes d’autocensure à l’origine de ce phénomène sont plus complexes qu’il n’y paraît. En effet, selon les chercheurs Thomas Breda et Clotilde Napp, les filles sont tout aussi bonnes que les garçons en mathématiques et en sciences, mais elles sont encore meilleures dans d’autres disciplines, c’est pourquoi elles choisissent de s’orienter vers ces dernières.
« Les filles réussissent mieux à l’école mais s’orientent de manière moins rentable », Marie Duru-Bellat, sociologue
A l’entrée du CP, leurs performances en mathématiques sont même supérieures à celles des garçons, même si elles perdent leur avantage en entrant au collège. S’appuyant sur une exploitation de l’enquête Pisa 2018, Thomas Breda et Clotilde Napp observent que les écarts de performance entre les sexes sont plus élevés dans les pays dans lesquels les stéréotypes associant les mathématiques aux garçons sont plus forts.
Ils identifient également que les filles ont moins confiance en elles que les garçons. Dans la quasi-totalité des 72 pays qu’ils ont étudiés, les filles attribuent plus souvent que les garçons leurs échecs à un « manque de talent ».
Un impact fort sur la qualité de l’emploi
Marie Duru-Bellat pointe toutefois un paradoxe :
« Si les filles ont de meilleurs résultats scolaires, c’est aussi le résultat d’un stéréotype, puisqu’elles sont généralement plus appliquées ! Les filles réussissent mieux à l’école mais s’orientent de manière moins rentable, même si on les retrouve désormais massivement dans de nombreux métiers comme avocat ou médecin. »
Or, les différences d’orientation expliquent que les femmes, pourtant davantage diplômées que les hommes, occupent moins souvent un emploi stable. Ainsi, selon le ministère de l’Education, 22 % des garçons ont au moins un master, contre 30 % des filles, mais seulement un peu plus de la moitié (52 %) de ces dernières sont en contrat à durée indéterminée (CDI) un an après la fin de leurs études, contre 63 % des garçons.
Même si leur part dans les emplois de cadres et professions intellectuelles supérieures a doublé depuis 1980, elles n’occupent encore que 43 % de ces emplois. Et, globalement, elles ont moins souvent accès aux postes les mieux payés.
D’où l’importante de la lutte contre les stéréotypes genrés à l’école. On peut regretter qu’elle ne soit appliquée que par une minorité très motivée.
En outre, pour Rachel Silvera, il ne suffit pas de pousser les filles comme on tente de le faire à aller dans les filières scientifiques et industrielles : il faudrait aussi qu’il y ait plus de garçons dans les filières sanitaires et sociales.
C’est un bon moyen d’inciter les pouvoirs publics et les employeurs à revaloriser ces métiers. Et de lutter contre l’emprisonnement des garçons dans des stéréotypes virilistes.
Retrouvez notre série « Les 10 chantiers du féminisme »
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