Le couple, une mauvaise affaire pour les femmes
La famille est une institution ruineuse pour les femmes : dans les couples hétérosexuels, l’écart de revenu était, en 2011 (dernière année connue), de 42 %, contre 9 % entre célibataires des deux sexes.
Mais c’est en fait tout au long de leur vie familiale que les femmes sont lésées, ont montré les sociologues Céline Bessière et Sibylle Gollac dans leur ouvrage Le genre du capital (La Découverte, nouvelle édition 2022).
Cela commence au moment des successions : à partir d’enquêtes de terrain, les chercheuses montrent que les garçons sont le plus souvent avantagés, en particulier dans les cas où il y a un bien immobilier ou un patrimoine professionnel à transmettre, les filles recevant une compensation financière.
Loin de les remettre en cause, les notaires tendent à avaliser ces arrangements familiaux inégalitaires en leur donnant simplement l’apparence de l’équité, qu’il s’agisse de sous-estimer la valeur du bien structurant ou « d’oublier » un bien donné antérieurement.
Travail gratuit
Cela se prolonge au moment des séparations : les conjointes ont alors le plus grand mal à faire reconnaître la valeur du travail gratuit qu’elles ont fourni sous forme de tâches ménagères et parentales pendant qu’elles étaient en couple. Elles subissent alors une perte de niveau de vie importante, de l’ordre de 20-25 % en moyenne, alors que celui des conjoints reste à peu près stable.
Dans les couples mariés, la prestation compensatoire, qui vise notamment à compenser cet écart, mais aussi à indemniser l’inégale répartition des tâches domestiques durant la vie conjugale, n’est que rarement accordée aux anciennes épouses et est ajustée aux capacités financières de l’époux – on retrouve ici la logique de comptabilité inversée – qui organisent parfois leur insolvabilité.
Et lorsqu’il y a des enfants, le plus souvent pris en charge par la mère, les montants de la pension alimentaire sont généralement inférieurs aux frais qu’elle engage pour leur entretien. Ceci sans compter les nombreux impayés et la difficulté à les faire revaloriser régulièrement.
Les sociologues ne peuvent donc que constater l’écart entre un droit désormais formellement égalitaire, devenu « mythe de l’égalité “déjà là” » (les femmes travaillent, peuvent gérer leur patrimoine propre et celui du couple, depuis 1965 ouvrir un compte en banque sans l’autorisation de leur mari…) et des inégalités économiques qui se perpétuent à bas bruit, derrière les portes closes des domiciles, des études de notaires ou des tribunaux aux affaires familiales.
Mentalité patriarcale
Les professionnels du droit, pointent Céline Bessière et Sibylle Gollac, restent habités de représentations genrées selon lesquelles le rôle économique des hommes ou des pères doit être préservé.
Le quotient conjugal, qui attribue deux parts aux conjoints pacsés ou mariés pour le paiement de leur impôt sur le revenu, avantage les couples monoactifs, décourageant le travail des femmes
Par contraste, la mère, elle, est placée en position d’éternelle demandeuse, qu’il s’agisse de « mendier » une pension ou, à défaut, de solliciter l’aide de l’Etat social – avec toute la charge mentale et le travail administratif que cela suppose. Une mentalité patriarcale dont le système sociofiscal français porte également la trace.
Le quotient conjugal, qui attribue deux parts aux conjoints pacsés ou mariés pour le paiement de leur impôt sur le revenu, avantage les couples monoactifs, décourageant ainsi le travail des femmes.
Et de nombreuses prestations sociales versées à titre individuel (RSA, prime d’activité, APL…) prennent en compte les revenus du conjoint, ou sont supprimées si le bénéficiaire se remet en couple (pensions de réversion de la fonction publique, par exemple), selon un principe de substituabilité entre le conjoint et l’Etat.
Et ce n’est qu’après un long combat que l’allocation aux adultes handicapés (AAH) a été déconjugalisée depuis le 1er octobre 2023. Un signe supplémentaire de la difficulté à inscrire les politiques familiales et sociales dans un horizon émancipateur et égalitaire.
Retrouvez notre série « Les chantiers du féminisme »
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