A Lyon, un dialogue inédit entre justice et citoyens
À Lyon, la façade du tribunal judiciaire a disparu derrière les échafaudages. Démarrés mi-septembre, les travaux de rénovation doivent se poursuivre jusqu’à début 2025. Ce projet d’ampleur permettra de refondre l’entrée du bâtiment actuellement sous-dimensionnée, de la rendre accessible aux personnes en situation de handicap et de repenser toute l’orientation au sein du tribunal.
« 3 000 personnes traversent chaque jour le palais de justice. Nous avions consulté tout le monde… sauf les justiciables », réagit le président du tribunal Michaël Janas. Pour réparer le mal, les chefs de juridiction ont eu une idée : mettre en place un comité des usagers, sur le modèle de ce qui existe depuis les années 1980 dans les hôpitaux.
« Il s’agit de sortir de notre entre-soi, se rapprocher de la cité en connaissant mieux les attentes des justiciables », explique le procureur de la République, Nicolas Jacquet.
La démarche fait écho à une étude récente du conseil d’Etat pour répondre à la crise de confiance entre les usagers et leurs services publics : sortir du 100 % numérique, concevoir l’action publique en construisant avec les usagers « des solutions adéquates » et valoriser les acteurs de terrain.
Accueil, temps d’audience et langage judiciaire
À partir d’un questionnaire rempli par 335 justiciables, les chefs de juridiction ont retenu cinq axes de travail : mieux accueillir les personnes souffrant d’un handicap (visible ou invisible) ; assurer un meilleur accompagnement des victimes dès l’entrée au tribunal ; mieux gérer le temps d’attente des justiciables à l’audience ; prendre en compte les personnes ne maîtrisant pas les nouveaux outils numériques et enfin adapter le langage judiciaire pour le rendre plus compréhensible.
Ces axes concernent non pas la décision de justice, mais l’environnement proposé par le tribunal. À partir de là, un groupe de travail de dix professionnels (magistrats, directeurs de greffe, fonctionnaires volontaires) a travaillé avec le comité pour identifier des remèdes et valider des actions.
« Avec des services complexes comme la justice et la santé, il y a un besoin d’expliquer comment on produit et fabrique les services publics. C’est de l’éducation au fonctionnement du système », analyse Fatima Yatim, maîtresse de conférences à l’École des Hautes Études en Santé Publique.
Le parallèle entre la justice et l’hôpital, où la démarche a été initiée dans le sillage de la lutte contre le Sida, est récurrent. Au-delà du manque de moyens, le constat porte sur les mêmes difficultés : l’accueil, les délais d’attente et la distance sociale induite par le langage.
Mais ces commissions d’usagers ne sont pas exemptes de critiques. « Ce sont toujours les mêmes qui s’expriment, c’est-à-dire les citoyens en capacité de s’exprimer. À l’hôpital les membres sont nommés conjointement par l’ARS [agence régionale de santé, NDLR] et les structures agréées », illustre la chercheuse.
Sélectivité sociale
Un écueil dans lequel le premier comité des usagers du tribunal semble être tombé. Le tribunal judiciaire a nommé dix membres : trois lecteurs du Progrès (le titre de référence de la presse quotidienne régionale dans le Rhône) à la retraite, une docteure en sociologie, deux étudiantes en droit, trois représentants d’associations et la Défenseure des droits en Auvergne-Rhône-Alpes.
« On est tous blancs, avec un certain capital social. Aucune personne racisée, aucun ouvrier. Il y a une forte sélectivité sociale », note Virginie Blum, membre du comité et docteure en sociologie du droit. Et d’ajouter : « La question du langage ou du temps judiciaire sont des sujets qui ont été pointés par les sociologues depuis des années. Il n’y a rien de nouveau sous le soleil ! »
Face à ces critiques, le président Michaël Janas défend la démarche :
« Nous avons fait le choix de solliciter des usagers ayant un regard critique et une capacité à prendre de la distance avec l’affaire qui avait pu les concerner. C’est une expérimentation : on teste, et s’il faut compléter avec de nouveaux membres, nous le ferons. »
Fin septembre, il annonçait l’arrivée de trois nouveaux membres d’ici la fin de l’année, « représentatifs d’une part de la grande pauvreté et d’autre part des quartiers de la banlieue lyonnaise. »
Les magistrats, eux, se félicitent des remontées obtenues : « On avait beaucoup travaillé sur l’accueil des victimes, mais on n’avait jamais pensé à la façon dont elles pouvaient se retrouver, spatialement, à attendre juste à côté de l’auteur, sans possibilité de l’éviter », détaille Nicolas Jacquet.
Incohérence
De son côté, la Défenseure des droits dans la région, Charlotte Deluce, salue l’expérimentation. « Environ 8 % des réclamations que nous recevons concernent la justice. Donc c’est une bonne chose que le tribunal judiciaire s’intéresse à l’accueil réservé aux usagers et à l’amélioration de son fonctionnement. »
À terme, l’expérimentation doit déboucher sur un plan d’action qui sera mis en œuvre tout au long de l’année 2024. Restera la question des budgets déployés. « Certains sujets demanderont peut-être des moyens supplémentaires, mais la plupart relèvent surtout d’une question d’organisation. Et puis nous comptons sur le plan pluriannuel du ministère de la Justice », assure le président du tribunal Michaël Janas.
Pour la chercheuse Fatima Yatim, la critique principale concerne surtout l’amont :
« On a beaucoup avancé au sein des établissements de santé sur le respect des droits mais aussi sur l’opérationnel, la participation directe des usagers au fonctionnement de l’établissement. Mais on n’a pas vraiment avancé sur la fabrique des politiques publiques. Le modèle reste très centralisé : ce qui ressort localement des commissions ne nourrit pas les décisions au niveau régional comme national. Or si vous avez des mouvements localement mais que les politiques restent descendantes, les efforts faits au niveau des établissements sont neutralisés », déroule-t-elle.
Un chantier encore plus important que celui qui masque temporairement la façade du tribunal judiciaire de Lyon.
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