Au Royaume-Uni, le triomphe des travaillistes est plus fragile qu’il n’y paraît
Un « raz-de-marée », une « victoire écrasante » : en remportant 411 sièges (209 de plus qu’en 2019) et en infligeant une cuisante défaite aux conservateurs (ils perdent 244 députés à la Chambre des communes et n’en comptent plus que 120), le Labour a connu l’un des succès les plus retentissants de son histoire. Cette réussite masque toutefois une réalité électorale et politique beaucoup plus ambivalente.
Déjà, le Parti travailliste réalise un moins bon score que lors de son échec de 2017 (avec 40 % des voix et 2,5 millions de suffrages en plus), à peine meilleur que celui de 2019.
Comment réussir à faire mieux avec moins de voix ? C’est en fait la moindre participation (60 %) et surtout le mode de scrutin uninominal majoritaire à un tour qui lui ont permis de glaner 65 % des sièges avec seulement 34 % des voix. Car en vertu du système First past the post (premier au poteau), le candidat ou la candidate qui arrive en tête est élu·e.
Un puissant effet de levier bénéficie donc au Labour, quand les conservateurs sont défavorisés et les « petits » partis fortement pénalisés.
Le nouveau parti majoritaire a également profité du rejet massif des conservateurs, profondément discrédités après 14 ans de pouvoir, les déboires du Brexit et une accumulation de scandales. Avec près de 7 millions de voix disparues et seulement 120 sièges, il enregistre son pire résultat depuis sa création en 1834.
Un sondage réalisé durant la campagne indique que près de la moitié (48 %) des électeurs du Labour avaient pour motivation première de « dégager les Tories », loin devant le « changement » (13 %) ou le programme (5 %).
Par ailleurs, la campagne travailliste a particulièrement bien ciblé les circonscriptions stratégiques où l’écart s’annonçait faible, notamment en dehors des bastions traditionnels.
Enfin, l’effondrement du Scottish National Party (SNP) en Ecosse, qui perd 39 sièges, permet de réunir les conditions exceptionnellement favorables au Parti travailliste.
Plus globalement, le recentrage du parti, dirigé par Keir Starmer depuis 2020, s’est avéré payant après les dissensions sous le mandat du plus radical et plus clivant Jeremy Corbyn. En froid avec le Labour, l’ex-leader s’est présenté sous l’étiquette d’indépendant et a réussi à conserver son siège face à un candidat travailliste.
L’extrême droite de Nigel Farage en embuscade
Avec la plus large majorité depuis celle de Tony Blair en 1997, les travaillistes disposent a priori de confortables marges de manœuvre. Toutefois, ils reviennent au pouvoir davantage grâce à un vote de sanction de leurs adversaires que d’un vote d’adhésion à leur programme, qui ne propose pas de véritable rupture.
Autres signaux faibles : les écarts de voix, localement, sont nettement plus serrés que lors des deux élections précédentes, et si le Labour a progressé dans les circonscriptions les plus disputées, il a perdu de l’avance dans ses places fortes.
Il a ainsi vu quelques sièges remportés par des candidats indépendants dans les zones où la population musulmane a désavoué son soutien à Israël dans la guerre contre Gaza. La progression des écologistes (Green Party) à 7 % des votes (4 points de plus qu’en 2019) est également notable.
« La stratégie de Starmer de recentrer idéologiquement le Labour et de montrer une image de sérieux et de pragmatisme semble avoir payé, mais pas autant que prévu. Le parti perd des voix sur sa gauche et n’en gagne pas beaucoup sur les conservateurs », note Denis Rayer, chercheur spécialiste du Labour.
Surtout, le triomphe du Labour ne doit pas occulter la progression du parti d’extrême droite de Nigel Farage, Reform UK, qui a capté l’électorat resté pro-Brexit et continué à creuser le sillon anti-immigration. S’il ne glane que 5 sièges, il obtient 14 % des suffrages, passant même devant les « Lib Dems » (13 %, mais 72 sièges).
Au Royaume-Uni comme en France, la gauche doit, en gouvernant avec une politique résolument sociale, écarter le spectre d’une arrivée au pouvoir de l’extrême droite à la prochaine échéance électorale.
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