CHRONIQUES DE TÉHÉRAN
(TERRESTRIAL VERSES) Écrit et réalisé par Ali ASGARI et Alireza KHATAMI – Iran 2023 1h17mn VOSTF – avec Bahman Ark, Arghavan Shabani, Servin Zabetiyan, Sadaf Asgari, Faezeh Rad, Hossein Soleymani, Majid Salehi, Farzin Mohaddes…
Du 03/04/24 au 30/04/24
On n’en est toujours pas revenu. Une petite heure et quart, soixante-dix sept minutes tout juste et neuf saynètes, neuf bêtes situations de la vie presque quotidienne à Téhéran, filmées dans un dispositif d’une simplicité quasi-biblique – dans le plus simple appareil cinématographique. Pas un mouvement superflu, pas un effet pour détourner l’attention, que du simple, du concret, du frontal. On pourrait craindre de s’ennuyer, de doucement somnoler… et BAM ! On ressort de là stupéfait, bouche-bée, presque hilare du plaisir de la découverte. Plus secoué que par un tremblement de terre de magnitude sept. Que voilà un film enragé, ingénieux, fascinant, troublant, passionnant et – pourquoi pas ? – drôle, qui dynamite avec une férocité singulière le régime totalitaire des Mollahs iraniens.
Ici, un homme déclare la naissance de son fils et se voit refuser le prénom choisi. Là c’est une mère à qui on dicte comment elle doit habiller sa fille pour la rentrée scolaire. Ailleurs, une élève est convoquée par la directrice au prétexte qu’elle a été vue sur un scooter avec un garçon. Ou encore, une jeune femme chauffeuse de taxi conteste une contravention attribuée pour non-port du voile. Même cette brave dame, qui veut juste retrouver son chien, se retrouve en butte aux tracasseries administratives… Ce sont en tout neuf situations banales, soigneusement mises en scène, dans lesquelles des individus lambda sont confrontés au pouvoir de leurs interlocuteurs – représentants de l’État, de diverses administrations, supérieurs hiérarchiques, employeurs potentiels… Neuf dialogues dont seules les victimes du système sont filmées – leurs tourmenteurs restant soigneusement hors-champ, à la manière d’un « Big Brother » aux multiples voix, omniscient, invisible et insensible, qui personnifie le Pouvoir.
« Il y a, dit Alireza Khatami, une technique typique de la poésie farsi qui s’appelle le débat. Où deux personnes discutent d’un sujet précis. Une personne s’exprime dans un vers, puis une autre dans le suivant. C’est donc une forme de dialogue. Chaque fois, il s’agit d’un sujet politique ou social. Dans la plupart de ces poèmes, il y a, ce qu’on ignore souvent, beaucoup d’humour. On s’est donc dit qu’on allait adapter la structure de ces poèmes et la rendre cinématographique ». Pour corser l’exercice, les deux co-réalisateurs, qui se sont rencontrés au festival de Venise, ont écrit et dirigé Chroniques de Téhéran à distance : Alireza Khatami depuis Toronto où il vit, Ali Asgari en « présentiel » à Téhéran. « Pour faire ce film, on n’a pas demandé d’autorisation. On ne veut plus suivre et se soumettre aux règles qu’on nous a imposées et auxquelles nous nous sommes pliés pendant des années. C’est aussi notre façon de manifester. C’est notre façon de faire notre révolution ».
Cinq femmes, quatre hommes, neuf petites histoires courtes qui se succèdent, sans lien apparent entre elles – mais reliées par un rythme commun, un flow magnétique qui dessine les contours d’une société faite d’abus de pouvoir, de logique de contrôle jusqu’à l’absurde, dont les deux réalisateurs se contentent d’enregistrer, poussée dans ses derniers retranchements, la logique tatillonne. Jusqu’à en faire exploser le ridicule – effarant et dramatique. Effet de sidération garanti pour le spectateur, mâtiné d’une colère à peine adoucie par l’humour pince-sans-rire de la satire politique. On sait bien, comme le disait encore récemment Agneszka Holland, que le cinéma ne peut pas « changer le monde ». Ce qui est certain en revanche, c’est qu’il peut être une arme redoutable, qui se retourne magnifiquement contre le Pouvoir qui prétend le contrôler. Et un marqueur efficace pour nous prédire, en commentant les soubresauts de la société iranienne, l’effondrement inéluctable de la dictature islamique.
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