Contre le Covid, sauvons-nous nous-mêmes…
En dix mois, et dans la plus grande confusion, le gouvernement paraît avoir expérimenté la plupart des dispositifs possibles de lutte contre le Covid. Et à chaque fois, il a été débordé.
En janvier, il fut d’abord question d’isoler les clusters « venus de l’étranger », en Savoie, le Morbihan et l’Oise. La défense avancée de la santé publique fut vite enfoncée à l’occasion d’un rassemblement d’évangélistes qui, depuis Mulhouse, dispensèrent davantage le virus que la parole du Christ. Le système de soin français fut vite dépassé : les médecins généralistes dépourvus de protection, les numéros verts et le 15 saturés, les urgences surchargées.
La deuxième ligne céda tant et si bien qu’il fallut deux mois et demi de confinement général pour rétablir la situation. Si ce n’était pas « la guerre » décrétée par Emmanuel Macron, le pays en sortit économiquement ravagé.
En mai, le gouvernement jura qu’on ne l’y reprendrait pas. La prochaine fois, le pays serait doté de tout ce qui manquait : masques, respirateurs, lits d’hôpitaux. Le 14 juillet le président de la République rassurait « nous serons prêts ». Ne venait-il pas de nommer Jean Castex « Monsieur Déconfinement », à Matignon ? La vie allait reprendre, Bercy d’ailleurs peaufinant un plan baptisé « France Relance ». Quand on relance, c’est que la crise est passée, non ?
Retour à la case départ
Mais à la rentrée de septembre, les Français médusés découvraient que la troisième ligne Maginot « tester-tracer-isoler » n’était qu’illusion. On pratiquait bien gratuitement les tests par millions, pour un coût par milliard, mais avec de tels délais que les résultats arrivaient comme la cavalerie, après la bataille. On testait, certes mais on ne traçait pas grand monde, et on n’isolait… personne ! Malgré l’apparente efficacité du port du masque dans toutes les grandes villes et les lieux fermés, le Covid pouvait donc croître et se multiplier.
Une stratégie aussi rustique de stop and go ne s’explique que par l’espoir inavoué que le Covid ne sera qu’un épisode passager qui se terminera au plus tard à la fin de l’année
Au moins, se rassurait-on, nous avions renforcé les hôpitaux… Las, début octobre, les Français apprirent que le pays ne comptait pas un lit de réanimation de plus qu’en janvier ! Et pire, qu’il y avait plutôt moins de personnels soignant pour s’en occuper. Résultat, novembre pourrait bien être sinon le mois du reconfinement, du moins celui des couvre-feux. Car, faute d’avoir éliminé la maladie, puis tenté vainement de « vivre avec le virus », ou plutôt de « vivre comme avant le virus », il ne reste au gouvernement que l’arme ultime : réguler les relations sociales et économiques de façon à faire baisser le nombre de malades du Covid à un niveau gérable pour les responsables des hôpitaux, c’est-à-dire sous les 2 500 malades en réanimation.
Un peu comme on règle l’entrée d’air dans le poêle de la cuisine pour éviter que le feu ne s’emballe. C’est froid, on ouvre les écoles, ça chauffe doucement on ouvre les lycées, les cinémas, les stades. C’est stable, les restaurants sont autorisés. La chaudière ronfle trop fort, on ferme les bars et les salons, avant que cela ne s’emballe, auquel cas il faut vite étouffer les braises en reconfinant la population. Une autorité, l’Etat, soit à Paris, soit par l’intermédiaire des préfets (les maires sont au mieux consultés) a la main sur les robinets.
Une stratégie aussi rustique de stop and go ne s’explique que par l’espoir inavoué que le Covid ne sera qu’un épisode passager qui se terminera au plus tard à la fin de l’année. Le vaccin viendra mettre fin au cauchemar. Ensuite la vie reprendrait son cours : les avions revoleront, les touristes chinois reviendront, les restaurants seront à nouveau pleins, les lieux culturels aussi comme le Louvre ou Versailles. Or, l’histoire des pandémies enseigne qu’elles durent au moins deux ans (grippe de Hong Kong 1967-68), voire trois (grippe espagnole de 1918 à 1920). L’histoire économique nous rappelle qu’après les crises on ne retrouve pas le monde d’avant.
Il faut se résigner, il n’y aura pas de retour rapide à la Belle Epoque. L’activité, privée de secteurs aussi importants que le tourisme, la restauration, l’événementiel, la culture, le patrimoine, l’aérien et l’aéronautique, va stagner à environ 90 % du PIB potentiel, provoquant un chômage massif, indemnisé ou pas.
Changer la chaudière
Puisque la crise sanitaire va durer, il serait probablement plus productif de transformer le système de chauffage plutôt que s’obstiner à torturer le thermostat d’une vieille chaudière. Adapter la production, la vie sociale. Modifier les comportements de tous les agents économiques pour que la vie continue, en tenant compte du virus, au lieu de s’en prendre aux seuls secteurs, comme la restauration ou les spectacles, qui font de réels efforts pour transformer leurs modèles économiques dans un environnement dégradé. Par exemple, en contraignant les entreprises à adapter leurs horaires de façon à réduire le nombre de passagers dans les transports en commun (une expérimentation a eu lieu à la Défense à Paris l’an dernier, à Plaine Commune cette année).
Puisque la crise sanitaire va durer, il serait probablement plus productif de transformer le système de chauffage plutôt que s’obstiner à torturer le thermostat d’une vieille chaudière
Edicter très vite des règles contraignantes organisant le télétravail, et privilégier des espaces de travail individualisés dans les hôtels. Dans le milieu de la culture, plutôt que d’octroyer deux années d’indemnités aux intermittents du spectacle en attendant la réouverture des théâtres et le retour des festivals, la même somme pourrait subventionner des milliers de spectacles dans les rues et les gymnases, ou le tournage par des équipes de cinéastes de centaines de documentaires sur la vie au temps du Covid, comme l’administration Roosevelt envoya des photographes immortaliser les Américains de la Grande Dépression.
La crise jette une génération de jeunes sur un marché du travail où manquent déjà 800 000 postes. Bien sûr, il faudrait d’urgence leur permettre d’accéder au RSA, mais la crise génère aussi des nouveaux besoins. Par exemple, dans le traçage des cas de Covid, dans la prévention de l’alcoolisme chez les étudiants, à l’origine de nombreuses contaminations. Dans l’enseignement primaire et secondaire, les jeunes diplômés pourraient suppléer les professeurs dans des classes systématiquement dédoublées pour éviter la propagation du virus.
Dans le supérieur, les universités doivent accueillir 57 000 étudiants de plus qu’en 2019, sans un mètre carré supplémentaire. Est-il impossible de trouver des locaux inoccupés dans lesquels des docteurs diplômés de 2020 pourraient animer les travaux dirigés ? En 1997, Martine Aubry avait créé les emplois-jeunes, 380 000 personnes en avaient profité pour se constituer une première expérience professionnelle. Sauf à se coller des œillères idéologiques, rien n’interdit de rééditer l’expérience.
A l’évidence, si elle nécessite une impulsion du gouvernement, des dispositions budgétaires et réglementaires importantes, une telle stratégie ne peut s’appliquer d’en haut. Pour le coup, l’Etat ne peut pas tout. Ce sont les initiatives des élus, des associations, des partenaires sociaux, des collectifs de travail, qui transformeront la société pour la rendre plus résiliente. On l’a un peu oublié, mais ce sont les femmes qui, face à la pénurie et en plein confinement, ont sorti les machines à coudre pour fabriquer les premiers masques grand public, suivies par les entreprises du textile et de la confection, souvent à la demande des collectivités locales. « Producteurs, sauvons-nous nous-mêmes… », écrivait le poète révolutionnaire Eugène Pottier en 1871. C’est toujours d’actualité.
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