KOMBINAT
Contrairement à ce qui avait été annoncé, la séance du mercredi 2 mars prévue à 20h ne sera finalement pas suivie d’une rencontre.
Merci de bien vouloir nous en excuser.
Gabriel TEJEDOR – documentaire Suisse / Russie 2020 1h15mn VOSTF –
Du 02/03/22 au 08/03/22
Au départ de ce film, réalisé par un cinéaste et sociologue suisse spécialiste des anciennes républiques soviétiques, il y a le conseil d’un guide local : « Va à Magnitogorsk, tu auras l’impression de te ballader dans le décor de Mad Max ». De quoi intriguer Gabriel Tejedor, qui s’est donc rendu dans l’immense ville sidérurgique longtemps fierté de l’ex-URSS, au cœur de l’Oural, où se situe, comme vous le savez pour avoir suivi assidûment vos cours de géographie, la frontière terrestre entre l’Europe et l’Asie.
Effectivement les premières images de bâtiments métalliques, de cheminées d’usine à perte de vue – qui feraient passer le bassin sidérurgique lorrain pour un parc naturel verdoyant – fascinent et donnent le tournis. De même que les chiffres : 11, 6 millions de tonnes d’acier brut sont sorties en 2020 des hauts fourneaux, produites par 18 000 ouvriers, le double si l’on y ajoute les sous-traitants. Et il faut savoir que du temps de la pleine puissance soviétique, on totalisait 100 000 ouvriers au service du kombinat !
Dans cet univers qu’on peut légitimement qualifier d’inhumain, évidemment soumis à des conditions de travail terribles et périlleuses, rongé par une pollution endémique qui affecte les ouvriers et leurs familles, Gabriel Tejedor est justement allé chercher l’humain. C’est sa démarche depuis déjà trois films, elle fait la singularité et la force de son travail. Au-delà d’un sens du plan rendant compte de la magnificence mais aussi de l’horreur des territoires qu’il filme, Gabriel Tejedor va y chercher ce qu’on pourrait appeler le verre à moitié plein : la dignité des hommes et des femmes, leurs espoirs peut-être fous dans un univers aussi hostile. Dans son premier long métrage, La Trace (2014), tourné dans la Kolyma, région septentrionale de la Russie, tristement célèbre pour avoir abrité les goulags les plus terribles de l’histoire stalinienne, il filmait des hommes qui s’accrochaient néanmoins à cette terre ingrate. Dans Rue Mayskaya (2017), il captait l’énergie et le combat d’un jeune artiste dans une des pires dictatures au monde, la Biélorussie de Loukachenko. Et dans ce remarquable Kombinat, il saisit tous les paradoxes des hommes et des femmes de Magnitogorsk, qui ont grandi dans cette culture soviétique héroïsant le travail et le productivisme, exaltant la participation à l’effort collectif du socialisme en marche, alors qu’aujourd’hui, ces mêmes ouvriers continuent de trimer pour un consortium désormais privé, parfaitement représentatif du capitalisme des oligarques. Des hommes et des femmes qui commencent à douter, d’abord de Poutine (l’un d’eux dit très justement qu’ils s’en remettent à lui parce qu’ils ont peur de se prendre en main) et plus généralement d’un modèle qui prétend mettre au sommet l’ouvrier mais se moque ouvertement de leur santé dégradée par la pollution. Ils se demandent s’ils devraient se décider à quitter enfin cette région à laquelle ils ont tant donné. Leur seule échappatoire, assez décalée et drôle dans cet univers oppressant et morose, est le club de salsa organisé par le Kombinat (après tout la salsa cubaine reste un loisir adoubé par le communisme), qui prépare le spectacle de fin d’année. C’est pour les ouvriers un bel espace (le seul ?) de liberté, qui leur permet de se retrouver pour discuter et envisager l’avenir. Et quand vous prendrez le volant de votre voiture, qui a peut-être été fabriquée avec l’acier du kombinat – en partie exporté pour l’industrie automobile européenne –, vous penserez aux danseurs de salsa qui vivent et meurent à Magnitogorsk.
Laisser un commentaire