LA MIF
Frédéric BAILLIF – Suisse 2021 1h52mn – avec Claudia Grob, Anaïs Uldry, Kassia Da Costa, Joyce Esther Ndayisenga, Charles Areddy, Amélie Tonsi…
Du 09/03/22 au 05/04/22
Pour les vieux béotiens dans notre genre, qui ne comprennent qu’imparfaitement le langage de leurs djeuns, « la mif » c’est la famille. En verlan (officiellement c’est millefa, mais mif ça va plus vite). La mif, c’est donc aussi, surtout, ce que Audrey, Novinha, Précieuse, Justine, Alison, Caroline et les autres, adolescentes placées en foyer d’accueil, ne connaissent pas. Tout du moins pas au sens où on l’entend traditionnellement (un papa, une maman, deux mamans, deux papas…). Mais de la même façon qu’on choisit rarement sa famille, on ne choisit pas plus ses camarades d’infortune, de chambre ou de foyer – pas plus que les adultes, directeur, administratifs, éducatrices et éducateurs qui font office de tuteurs (littéralement) de substitution.
Saisissant d’authenticité, le film de Fred Baillif est une plongée impressionnante dans le quotidien de ces gamines pas encore tout à fait sorties de l’enfance mais que des parcours chaotiques ont déjà rudement confrontées à l’école de la vie. Lui-même ancien éducateur dans une de ces structures d’accueil, Fred Baillif connait parfaitement les écueils de l’institution, la fragilité des équilibres dans ce microcosme où coexistent – avec plus ou moins de bonheur selon les jours – jeunes et adultes éducateurs. Surtout, connaissant les fêlures de chacune et de chacun, il a à cœur de les filmer avec toute l’attention, toute la justesse et tout le respect possibles.
À mi-chemin entre le documentaire et la fiction, La Mif est un projet hybride passionnant, fruit de deux ans d’immersion et d’ateliers d’improvisation avec des jeunes filles de foyer – avec, tout au bout du processus, deux petites semaines intenses de tournage, où tout le monde, jeunes, adultes, pensionnaires ou éducateurs, a joué non pas son propre rôle mais un personnage patiemment construit à partir de bribes de vécu personnel, d’anecdotes observées ou rapportées… Les dialogues, quoique longuement mûris, étant pour l’essentiel improvisés devant la caméra. L’effet de réel est absolument saisissant. Écrit à la manière d’un chœur pour installer le cadre de l’institution, le film prend appui sur un de ces petits événements qui peuvent tout faire basculer en un instant. Ici, c’est la relation sexuelle entre une jeune fille majeure (au sens, justement, sexuel) avec un garçon mineur, et l’instauration de la non mixité qui s’en suivra, qui mettront le feu aux poudres. C’est un des sujets que voulait absolument aborder Fred Baillif : l’hypocrisie et l’omerta que pose l’institution sur la sexualité adolescente. Mais au-delà, il décrit magnifiquement la complexité des personnages. Celle de ces jeunes filles à fleur de peau, pleines d’espoirs et de craintes face à l’avenir, mais aussi les ambiguités du rôle des éducateurs, cachant parfois des failles ou des drames personnels qu’ils doivent taire face à la souffrance des jeunes. On soulignera d’ailleurs la performance extraordinaire de Claudia Grob, la charismatique directrice du foyer – c’est d’ailleurs son vrai métier dans la vraie vie –, incarnation d’une vie dédiée aux autres, parfois épuisée mais tenue debout par sa mission.
Sensible, sobre, efficace, porté par des interprètes époustouflantes, La Mif est un extraordinaire témoignage collectif qui ne laisse pas indemne et nous marque durablement.
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