La retraite à 65 ans génère-t-elle autant d’économies que ça ?
En se focalisant uniquement sur les comptes du système de retraite, reporter l’âge de départ permet, en toute logique, de réaliser d’importantes économies. D’un côté, cela occasionne moins de dépenses, puisque moins de pensions sont versées et, de l’autre, cela génère plus de recettes, car les personnes contraintes de travailler plus longtemps rapportent plus de cotisations.
Le Trésor a calculé, fin janvier, l’effet d’un passage progressif de l’âge de légal de 62 à 64 ans à raison de trois mois de plus par an. Résultat, le solde (recettes – dépenses) du système s’améliorerait de 0,3 point de PIB (environ 7,5 milliards d’euros à la valeur du PIB actuelle) d’ici 2027 et de 0,5 point (12,5 milliards d’euros) d’ici 2032.
Pour mémoire, lors de la campagne présidentielle, Emmanuel Macron a promis de reporter l’âge légal de départ de quatre mois par an à partir de 2023, afin d’atteindre 65 ans en 2031. Les économies espérées seraient donc encore supérieures.
Mais, si l’enjeu est uniquement d’équilibrer les comptes des retraites par ce seul levier, il n’est pas nécessaire d’aller aussi loin : passer à 64 ans produit assez d’économies pour résorber le déficit, selon le scénario le plus pessimiste du Conseil d’orientation des retraites (COR).
Certes, cette marge pourrait être utilisée pour augmenter la pension minimale ou pour améliorer des dispositifs de pénibilité. Or, concernant la première, le président de la République a promis 1 100 euros minimum pour une carrière complète, mais cela ne concernerait que les nouveaux retraités, a précisé le porte-parole du gouvernement Oliver Véran sur BFMTV il y a deux semaines.
Les économies réalisées sur les pensions versées grâce au report de l’âge légal diminuent au fil du temps
En 2021, un rapport parlementaire indiquait que cela représenterait 52 000 pensionnés pour un coût de 54 millions d’euros. Une somme modique comparée aux 345 milliards d’euros par an de dépenses de retraite. Concernant la pénibilité, l’exécutif n’a pas détaillé ses intentions.
A noter par ailleurs que les économies réalisées sur les pensions versées grâce au report de l’âge légal diminuent au fil du temps. Une étude la Drees de 2016, portant sur la réforme de 2010 (passage de 60 à 62 ans), montre que faire travailler les Françaises et les Français plus longtemps implique de les faire cotiser plus et donc à l’avenir de leur verser de meilleures pensions, ce qui réduit les économies à long terme.
Ils cotisent en effet davantage, à la fois sur la durée mais aussi s’ils ont obtenu une augmentation de salaire. C’est le cas souvent des fonctionnaires qui gagnent un échelon, tout en sachant que leur pension est calculée sur les six derniers mois.
Quoi qu’il en soit, les résultats purement comptables et circonscrits aux comptes des retraites « doivent être interprétés avec prudence », souligne également le COR. Car le report de l’âge légal a des effets plus larges.
Moins de pensions mais davantage de prestations sociales
Eloigner l’horizon de la retraite suppose, pour une partie des personnes concernées, de garder son poste plusieurs années supplémentaires. Pour d’autres, cela a pour conséquence de rallonger leur période de chômage, au RSA, ou en arrêt maladie.
La Dares chiffre à 1,3 milliard d’euros les allocations chômage supplémentaires à verser du fait d’un passage de l’âge de départ à 64 ans
Dans une note parue en juillet, l’OFCE estime que le report de quatre mois par an de l’âge légal, comme l’a promis Emmanuel Macron, ferait baisser de 600 000 personnes le nombre de retraités à horizon 2027. En répliquant ce qu’il s’était produit après la réforme de 2010, l’Observatoire considère que, sur ces 600 000 personnes, 240 000 seraient toujours en emploi, 215 000 au chômage et le reste serait parmi les inactifs.
Ainsi, une partie des économies réalisées sur les comptes des retraites sont annulées par l’augmentation des dépenses pour d’autres branches de la Sécurité sociale. La Dares chiffre à 1,3 milliard d’euros les allocations chômage supplémentaires à verser du fait d’un passage de l’âge de départ à 64 ans, quand la Drees évalue à 3,6 milliards d’euros la hausse du coût des autres prestations. Au total, cela représente environ 0,2 point de PIB.
Mais le report de l’âge légal génère aussi des recettes pour les autres comptes publics. Tous ceux qui ne sont pas partis à la retraite et continuent de travailler payent plus d’impôt sur le revenu et de CSG, ou encore continuent de cotiser à d’autres organismes et leur employeur aussi. Le Trésor prévoit une hausse de 0,6 point de PIB des recettes hors cotisations retraite.
Au total, entre l’amélioration du solde des retraites (+ 0,5 point de PIB), la hause des dépenses des autres branches de la Sécu (- 0,2 point) et des autres recettes (+ 0,6), le Trésor en conclut qu’un report de l’âge légal à 64 ans réduirait le déficit public de 0,9 point de PIB (22,5 milliards d’euros) dans dix ans. A l’issue du quinquennat, en 2027, ce serait 0,6 point. Le report de l’âge à 65 ans rapporterait encore plus.
Des effets sur l’ensemble de l’économie
Là encore, le tableau est incomplet. Car ces évaluations ne sont que comptables et n’intègrent pas les effets au niveau macroéconomique d’un report de l’âge légal.
Par exemple, en restant en emploi plutôt qu’en partant à la retraite, certains conservent de meilleurs revenus plus longtemps et donc peuvent consommer davantage. Les derniers salaires sont en effet supérieurs aux pensions, d’une part, et, d’autre part, la poursuite de leur carrière peut impliquer la continuation de leur progression salariale.
Laisser plus de personnes en emploi et au chômage fait augmenter la population sur le marché du travail et donc accentue la concurrence
A l’inverse, laisser plus de personnes en emploi et au chômage fait augmenter la population sur le marché du travail et donc accentue la concurrence – du moins à court-moyen terme, le temps que l’économie s’ajuste et absorbe ce surplus.
Par conséquent, le chômage augmenterait et le pouvoir des actifs pour négocier leur salaire s’affaiblirait. Les salaires progresseraient alors moins vite qu’en l’absence de réforme, réduisant ainsi les cotisations et les impôts collectés, de même que la consommation et, par ricochet, l’activité économique.
L’OFCE a pris en compte ces éléments dans une étude réalisée en octobre 2021 pour le Haut Conseil au financement de la protection sociale. Le report de l’âge légal de 62 à 64 ans à raison d’un trimestre par génération n’engendrerait un gain global pour les finances publiques que de 0,1 point de PIB. Les économies sur les dépenses seraient alors presque complètement annulées par les pertes de recettes dues à une contraction de la masse salariale.
Le modèle du Trésor aboutit à un gain de 0,2 point de PIB au bout de cinq ans et de 0,4 point au bout de dix ans. Les auteurs précisent que tout dépend de la vitesse à laquelle le marché du travail s’ajuste à cette augmentation de la population active.
« Toute la question est alors de savoir si [cela] interviendrait dans un marché du travail où continueraient de progresser les tensions [sur les recrutements], ou au contraire un contexte de remontée du chômage », estime, pour sa part, le Comité de suivi des retraites dans un avis publié en septembre.
Mais le Trésor estime que ces modèles ne sont pas conçus pour évaluer de façon pertinente ce type de mesure. Les auteurs indiquent que les études mettent en évidence une bonne absorption de l’offre de travail supplémentaire par les entreprises suite à la réforme de 2010. Et maintenir des seniors en emploi n’empêche pas les jeunes d’entrer sur le marché du travail – « l’effet d’éviction est limité, voire nul », écrivent-ils – : un tel effet peut, certes, s’observer à l’échelle d’une entreprise, mais pas à l’échelle de l’économie prise dans son ensemble.
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