Le difficile combat contre l’islamisme radical en Occident
L’islamisme radical et terroriste – qui ne doit pas être confondu avec le monde musulman vivant en Occident, très majoritairement pacifique, ouvert et tolérant – sévit en Europe en s’appuyant à la fois sur les djihadistes étrangers qui y trouvent refuge à un moment donné (Londonistan, Ulm en Allemagne, Molenbeek en Belgique), mais également sur un noyau d’Européens pour la plupart musulmans, qui vivent sur notre sol et souvent y sont nés.
Le livre de Hugo Micheron Les démocraties face au djihadisme européen. La colère et l’oubli (Gallimard, 2023) décrit avec précision les caractéristiques de ce djihadisme qui opère selon des modalités particulières – intensité variable durant les quarante dernières années, diversité des affiliations aux multiples organisations terroristes, méthodes de recrutement, utilisation des réseaux sociaux, communication et action – dans les pays du nord de l’Europe (Pays-Bas, Danemark, Suède, Belgique), à l’est (Allemagne) et à l’ouest et au sud (Royaume-Uni, France, Espagne).
Selon Hugo Micheron, cet islamisme radical et terroriste gagne du terrain, notamment parmi les jeunes générations de musulmans européens qui se rapprochent des milieux djihadistes.
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Ce rapprochement, progressif ou parfois soudain, peut s’effectuer selon plusieurs modes : la fréquentation des mosquées où opèrent des prédicateurs radicaux ; l’endoctrinement en prison pour ceux qui avaient plongé dans la délinquance ordinaire, et espèrent se reconstruire un avenir par une affiliation à l’intégrisme religieux ; la communication sur les réseaux sociaux qui véhiculent, par de multiples canaux, l’idéologie des radicaux islamistes.
Allégeance ou désaveu
Cet islamisme intégriste se caractérise par le principe de l’« allégeance » aux idées radicales et du « désaveu » pour tous ceux qui ne partagent pas ces idées. « Le fidèle doit donc choisir « son camp » entre deux systèmes présentés comme antithétiques et en lutte l’un contre l’autre. A un registre islamique parfait s’oppose un registre démocratique corrompu, à la justice divine (la charia) l’injustice de lois humaines, à la loyauté envers les musulmans l’inimitié envers les mécréants. »
Il n’y a pas de point de rencontre possible, de dialogue envisageable entre islamisme radical et société démocratique
Ainsi, « au lieu de se projeter comme un citoyen européen de confession musulmane, l’individu se projette comme un fidèle appartenant à une nation musulmane (oumma), orpheline de son système politique (le califat) et exposée à l’injustice des hommes tant que la charia ne régnera pas sur terre » (p. 228). Les musulmans, d’origine européenne ou non, vivant en Europe ou dans des pays musulmans, qui ne font pas allégeance à ces lois sont de mauvais musulmans et doivent être combattus.
Il n’y a donc pas de point de rencontre possible, de dialogue envisageable entre islamisme radical et société démocratique. Afin de s’opposer à cet islamisme radical qui gangrène les communautés musulmanes d’Europe, qui remet en cause la prééminence des lois de la République, les pays européens essaient de durcir leur arsenal répressif, sans toutefois renoncer à leurs valeurs d’ouverture et de démocratie.
A l’extérieur de l’Europe, l’usage de la force au moyen d’interventions militaires s’avère le plus souvent peu inefficace pour éradiquer le terrorisme comme la France en a fait la triste expérience au Sahel et en Libye.
En effet, ce n’est pas avec une intervention militaire étrangère que l’on règle des conflits fonciers entre éleveurs et agriculteurs, par exemple. Ce n’est pas avec une présence militaire étrangère que l’on pallie la faillite de l’Etat dans certaines régions déshéritées. Il s’agit le plus souvent de guerres asymétriques où le faible peut, avec le temps, décourager le fort et finalement s’imposer.
A l’intérieur de l’espace européen, la tâche n’est pas plus aisée. Comment neutraliser des djihadistes de nationalité européenne qui ne sont pas expulsables, qui se battent parfois uniquement sur le plan des idées ? Certains islamistes radicaux se font conseiller par des avocats pour savoir « comment formuler un propos ultraradical sans basculer du mauvais côté de la loi. Comment en fait subvertir légalement les valeurs démocratiques par des appels dissimulés au djihad lancés depuis les démocraties ? », des appels que l’on peut ainsi diffuser sans crainte sur les réseaux sociaux.
« Le multiculturalisme », accepté et même revendiqué par certaines sociétés occidentales en quête d’ouverture et de diversité, peut devenir « un levier juridique pour établir des contre-sociétés culturelles parallèles, à l’abri des valeurs communément admises dans la société et jugées contraires à l’islam conservateur » (p. 186).
Il faut donc que les sociétés européennes soient capables, sans renier leurs valeurs, sans abandonner ou réduire leurs espaces de liberté, de lutter contre les actes terroristes, mais également contre l’idéologie islamiste radicale. Or il s’avère difficile de condamner ou d’expulser des individus radicalisés en raison des idées qu’ils portent ou qu’ils profèrent dans l’espace public, a fortiori quand il s’agit de ressortissants européens. La justice européenne n’est pas conçue et n’a pas vocation, ce qui est heureux, à interdire les idées qui dérangent.
La justice européenne s’applique plutôt à juger des faits, des actes constitutifs de délits qui contreviennent à la loi. Mais combattre le terrorisme par la réduction de notre liberté d’expression, un des piliers de nos sociétés démocratiques, serait un aveu d’échec. Néanmoins, réfléchir à élargir les conditions de mise en jeu du délit d’opinion concernant l’apologie du terrorisme (article 421-2-5 du code pénal) peut constituer une piste.
Toutefois, la frontière entre un islamisme rigoriste non terroriste et un islamisme radical pouvant entraîner des actes terroristes est bien difficile à tracer.
Mener la confrontation idéologique
Dans leurs livres respectifs, Hugo Micheron et Richard Malka combattent effectivement l’idéologie de l’islamisme radical et terroriste en dévoilant ce qu’elle représente exactement. Richard Malka rappelle qu’il existe, sur le plan philosophique et religieux, depuis les origines, une voie tolérante de l’islam qui s’appelle l’école des mutazilites, pour qui ne pas agir selon la raison contredit la nature même de Dieu.
Comment opérer sans être immédiatement ramené au passé colonial de l’Europe, au passé impérialiste de nos vieilles démocraties ?
Ces analyses et réflexions posent une première pierre extrêmement précieuse. Mais comment aller un peu plus loin sur le plan de la confrontation idéologique, pour des musulmans européens comme pour des Européens non musulmans, sans être immédiatement accusé de tenir des propos allant à l’encontre de l’ensemble des communautés musulmanes d’Europe, sans se laisser emporter dans des débats théologiques difficiles à mener au sein d’une république laïque ?
Comment opérer sur le plan de la confrontation idéologique sans être immédiatement ramené au passé colonial de l’Europe, au passé impérialiste de nos vieilles démocraties – parfois adeptes du double langage, du « deux poids deux mesures » s’agissant des discriminations actuelles dont sont souvent victimes les jeunes issus de l’immigration –, nos vieilles démocraties qui n’auraient pas, qui n’auraient plus de leçons de liberté à donner à d’autres pays ou communautés ?
Comment se situer dans ce débat d’idées, sans être sommé de choisir son camp entre Israël et les Palestiniens, sans être accusé de mettre l’étiquette de terrorisme sur des actes que certains considèrent comme des actes de résistance, à l’instar de ce qu’aurait pratiqué le Hamas contre Israël lors de son attaque du 7 octobre 2023 ? Comment lutter à armes égales sur les réseaux sociaux qui se nourrissent de controverses, de binarité, de scandales, de boucs émissaires, de fausses informations, le tout protégé par l’anonymat ?
Il revient peut-être, aujourd’hui, aux Européens musulmans qui sont constitutifs de la diversité de l’Occident, qui apportent leurs cultures tout en partageant nos valeurs du vivre-ensemble, de se dresser le plus vigoureusement possible sur le plan idéologique contre l’islamisme radical. Le sanglot de l’homme blanc comme son lourd fardeau lui rendent peut-être la tâche (tache) trop difficile.
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