L’ÉDUCATION D’ADEMOKA
Adilkhan YERZHANOV – Kazakhstan 2023 1h30mn – avec Adema Yerzhanova, Daniyar Alshinov et Bolat Kalymbetov
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Du 12/07/23 au 18/07/23
Il était une fois, au Kazakhstan, une jeune adolescente sans papiers de 15 ans aux cheveux rouges flamboyants qui rêvait d’aller à l’école… Oui mais voilà, son statut de Lyuli, communauté du Kirghizistan – sorte de gitan d’Asie centrale – autrefois nomade, la maintient enfermée dans l’illégalité et l’absence de citoyenneté. Obligée de mendier pour survivre chichement et nourrir sa famille, vivant dans un cimetière d’avions à ciel ouvert, et totalement à la merci d’une sorte de réseau de mafieux qui ne se gênent pas pour rosser les gens qu’ils emploient, Ademoka, car c’est son nom, est bien loin de pouvoir concrétiser ce vœu ! Bien au contraire, l’on perçoit vite dans le destin qui l’attend, l’inexorable répétition du retour à la frontière et sa traversée.
Il va donc falloir que le hasard s’en mêle. Et ce hasard, tel un grain de sable, va surgir paradoxalement d’un côté totalement inattendu, lors d’une descente de police (que nous découvrons ici guère moins corrompue que la bande mafieuse précédente), où un policier vérifiant le contenu du petit sac jaune dont la jeune fille ne se départit jamais, y découvre, surpris, de grands classiques de la littérature et… un livre de croquis. Reconnaissant son talent, il l’oriente vers un professeur de philosophie certes déclassé, pauvre hère alcoolique et solitaire, qui répond au nom évocateur d’Achab qui lui tend une main plus intéressée que secourable…
Là commence une véritable odyssée homérique, faisant l’éloge de l’égalité des chances, militant pour l’accès à l’art et plus particulièrement la littérature, dans un style burlesque et complètement surréaliste.
Primé lors du 38e festival cinématographique de Varsovie, ce 12e long-métrage du très prolifique Adilkhan Yerzhanov, le Kaurismaki kazakh, que nous avons découvert en France par le sublime La tendre indifférence du monde, ou encore l’année passée avec le sombre polar A dark dark man, poursuit sa critique de la société kazakh, au sens large. Nous y retrouvons tous les éléments qui font son style désormais reconnaissable : épuré, minimaliste, attaché à ces touches de couleur, aux images magnifiant les étendues désertiques des steppes kazakhes, à l’humour décalé et aux personnages loufoques. La différence dans L’éducation d’Ademoka c’est avant tout l’absence de violence explicite, contrairement aussi à Assaut, que le distributeur Destiny Films nous fait l’honneur de sortir simultanément. Non que la situation subie par la jeune fille ne soit pas porteuse de violence mais celle-ci est orientée vers une forme poétique et symbolique chargée d’optimisme.
En effet, L’éducation d’Ademoka est une ode à la liberté, à l’éducation, et à l’entraide humaine. C’est un film intelligent, plein de citations de Shakespeare, Gogol, Nabokov, ou encore Tchekov, Dante, et bien sûr, Melville, qui, de la dénonciation de la situation des Lyuli en Asie Centrale, dont la chevelure de l’héroïne devient l’éclatant symbole (les Lyuli se désignent eux-mêmes sous le nom de Mughat, un terme iranien qui signifie « disciples du culte du feu »), en passant par la critique du système éducatif (dont Assaut nous proposera une version en interne beaucoup plus violente) et de l’avenir laissé aux jeunes générations par des autorités gangrénées, nous amène progressivement, comme les deux protagonistes, sur le terrain de ces livres chargés de leçons de vie permettant de défier la laideur du monde et ouvrant vers l’émancipation culturelle tant rêvée… Le reste n’est que silence !
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