Les travailleurs immigrés, victimes oubliées de la réforme des retraites

En France, les immigrés sont-ils discriminés face à la retraite ? Antoine Math, chercheur à l’Ires, spécialiste de la protection sociale et des droits des étrangers, compare leur situation à celle des femmes. Sur le papier, elles ont les mêmes droits à la retraite que les hommes, mais dans les faits, elles font face à des situations inégales.
L’égalité de droits entre les étrangers et les Français n’est cependant pas parfaite. La loi Pasqua, adoptée en 1993, exige de prouver la régularité du séjour pour toucher sa retraite. Et l’Aspa, le minimum vieillesse, n’est accessible qu’à ceux qui présentent une antériorité de titre de séjour de plus de dix années continues. Cela pénalise des personnes qui ont connu une interruption de titre de séjour, ou qui n’ont pas les moyens administratifs de prouver l’antériorité de leur titre. Antoine Math évoque une « préférence nationale déguisée ».
Coordinateur d’un mouvement de sans-papiers à Paris, Anzoumane Sissoko raconte : « Dans les milieux où je suis, les migrants ont du mal à avoir le minimum vieillesse. Je vois des gens qui vont à la retraite avec 200, 300, 500 euros [le montant de l’Aspa est fixé à 961,08 euros brut pour une personne seule, NDLR]. Ce n’est pas normal, on ne peut pas vivre. »
Surreprésentation des carrières courtes, hachées
Quant aux personnes étrangères qui prouvent la régularité de leur séjour, ou naturalisées françaises avant la retraite, elles rencontrent un premier handicap évident, à l’heure de toucher leur pension : une part importante d’entre elles n’a pas commencé à travailler en France, et n’a donc pas cotisé pendant une carrière complète. Pour elles, l’âge réaliste de départ sera 67 ans, pour obtenir le taux plein automatique, et non 64.
« Quand on arrive en France, il faut attendre dix ans parfois pour être régularisé. Si on vient à 25 ou 30 ans, il faudra travailler jusqu’à 70 ans pour atteindre 43 ans de cotisation ? », s’interroge Mariama Sidibé, rencontrée lors de la marche parisienne contre la réforme le 7 mars dernier.
Beaucoup d’immigrés ont connu des carrières hachées, et vont être pénalisés par cette réforme
Beaucoup d’immigrés ont par ailleurs connu des carrières hachées, et vont dès lors être pénalisés par cette réforme : ils ont particulièrement vécu les discriminations, à l’embauche ou pour l’avancée de leurs carrières, les licenciements, le chômage. Selon l’Insee, en 2021, le taux de chômage s’élevait à 6,9 % pour la population de 15 à 64 ans sans ascendance migratoire, contre 12,7 % pour les immigrés, et 11,6 % pour leurs descendants.
Si la réforme promet un départ anticipé à celles et ceux qui ont commencé à travailler jeune, Antoine Math nuance :
« Ceux qui ont des trous de cotisations, même s’ils ont commencé tôt, n’auront pas cette possibilité. Ce n’est pas spécifique aux immigrés. Mais les immigrés, par leur situation globalement dominée et dégradée sur le marché du travail, sont davantage touchés ».
Certains ont même fait face au cours de leur carrière aux abus de leurs employeurs, qui n’ont pas cotisé pour leur retraite comme ils le devraient. « On voit beaucoup d’immigrés qui rencontrent des problèmes de relevés de carrière incomplets. C’est un délit, mais c’est assez fréquent dans la construction, le textile… », poursuit le chercheur.
« Dans le nettoyage, à 60 ans, on est fatigué »
Les immigrés sont en effet surreprésentés dans les métiers difficiles comme le bâtiment ou le nettoyage. En 2017, 39 % des employés de maison, 27 % des ouvriers non qualifiés du BTP et 25 % des ouvriers qualifiés du gros oeuvre du bâtiment étaient d’origine étrangère, selon le ministère du Travail.
Et les améliorations proposées dans la réforme sur la prise en compte de la pénibilité sont marginales. Anzoumane Sissoko, agent d’entretien, décrit son quotidien :
« Dans le nettoyage, le travail est difficile, on aspire des produits dangereux… Déjà à 60 ans, on est fatigué. La pénibilité n’est pas du tout prise en compte dans cette loi. Ils veulent augmenter l’âge, mais il n’y a même pas de contrepartie. »
Sans compter que l’utilisation d’agents chimiques dangereux a d’ailleurs été supprimée des critères de pénibilité lors du premier quinquennat d’Emmanuel Macron en 2017.
« Moi, à 58 ans, si je perds ce boulot-là, c’est fini, je ne peux plus trouver de travail. S’il faut attendre encore 10 ans pour la retraite, c’est quasiment impossible, on va passer ce temps au RSA », poursuit le militant.
Comme lui, dans ces secteurs, passé un certain âge, les salariés peuvent difficilement travailler.
« La réforme va pénaliser ceux qui, à 60 ans, ont déjà été évacués du marché du travail : parce qu’ils ont subi le chômage, qu’ils ne retrouvent pas d’emploi, parce qu’ils ne sont plus en état physique, parce qu’ils seront invalides », explique Antoine Math.
61 % des non-recours complets aux droits à la retraite sont le fait de personnes nées à l’étranger
Ces personnes qui « attendent leur retraite avec des revenus de remplacement » devront patienter encore davantage après la réforme. C’est le cas de Mariama Sidibé, 66 ans, jeune retraitée de l’aide à domicile. Après un accident de travail, elle raconte avoir bataillé un an et demi pour faire reconnaître ses droits à la retraite. « J’aurais dû encore attendre si la réforme était en place, déplore-t-elle. Mais quand on est malade, on ne peut plus, ce n’est pas de notre faute. »
Des salaires, et donc des pensions, plus faibles
Ces métiers sont en outre mal payés, donnant donc lieu à une pension basse à l’heure de la retraite. Selon les chiffres de 2018 de l’Insee, les revenus d’activité des immigrés sont en moyenne inférieurs de 24 % au reste de la population.
Les derniers rapports de la Drees sur les retraites n’établissent pas de différence entre immigrés et non-immigrés. Le chercheur Aurélien Martineau, qui se base sur des chiffres de 2012, souligne toutefois que le montant moyen mensuel des pensions des retraités nés à l’étranger et vivant en France est de 1 344 euros, contre 1 604 pour les autres.
L’inégalité se fait enfin sentir au moment de demander ces pensions. D’après une étude de 2021 de la Caisse nationale d’assurance vieillesse (Cnav) sur les non-recours aux droits à la retraite des 70-90 ans en France, 61 % des non-recours complets sont le fait de personnes nées à l’étranger.
« Le non-recours peut être plus important pour les personnes immigrées parce qu’elles connaissent mal leurs droits, ou le langage administratif », développe Antoine Math.
Il cite par exemple les veuves, qui ne demandent pas toujours leur pension de réversion, surtout lorsqu’elles n’habitent plus en France. Le chercheur insiste : « personne ne les informe de ce droit. La responsabilité du non-recours incombe aussi aux pouvoirs publics ».
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