En plein tsunami provoqué par les scores du Rassemblement national aux Européennes et la dissolution de l’Assemblée nationale, se pose la question des textes qui étaient en cours de discussion : vont-elles ou non être maintenues ?

La réforme de l’assurance chômage arrive en tête des interrogations. Lors d’une prise de parole ce 12 juin, Emmanuel Macron n’a pas clairement tranché, expliquant tout de même qu’il assumait cette « réforme, qui a été bien préparée par le gouvernement » et qu’il juge « importante pour le pays et indispensable ».

Si la voie du décret, en l’état, était maintenue, le texte devrait ainsi être publié au plus tard le 30 juin et acterait un nouveau tour de vis à l’égard des chômeurs. Sans surprise, ce durcissement des conditions d’indemnisation qui s’appliquerait à partir du 1^er décembre touchera particulièrement les jeunes, les seniors et les précaires. Mais si l’on déplace la focale sur le genre, les femmes en subiront davantage les conséquences que les hommes.

Réunis mardi 11 juin lors d’une conférence de presse au Conseil économique, social et environnemental (Cese) à l’initiative des syndicats qui continuent de se mobiliser contre le décret, la sociologue Claire Vivès ainsi que les économistes Michaël Zemmour et Bruno Coquet ont rappelé qu’en l’absence d’évaluations des précédentes réformes et d’étude d’impact sur celle à venir, ils avançaient « dans le brouillard ». Néanmoins, il suffit de s’appuyer sur ce que nous enseigne le marché de l’emploi féminin pour en dessiner d’ores et déjà les répercussions.

Poussées vers des emplois de mauvaise qualité

D’après le projet de décret, il faudra avoir travaillé au moins 8 mois, au lieu de 6 actuellement, pour prétendre aux droits au chômage. Et ce, sur une période de référence réduite (20 mois au lieu de 24 pour les moins de 53 ans aujourd’hui, 20 mois au lieu de 36 pour les 53-56 ans et 30 mois au lieu de 36 pour les plus de 57 ans).

Ce n’est pas la première fois que la durée de cotisation est allongée d’une part, et que la période de référence est écourtée de l’autre. Par le passé déjà, cette mise sous pression du marché du travail a eu tendance à pousser les demandeurs d’emploi à accepter des emplois dégradés. Et les femmes ne font pas exception, bien au contraire.

« Les évaluations de l’Unédic ou de la Dares indiquent que les femmes ont repris des emplois plus rapidement que les hommes, souligne Anouk Manez, docteure de l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS), sociologue du chômage et du genre. Mais il y a fort à parier qu’il s’agisse d’emplois précaires ou à temps partiel, si l’on se base sur le marché de l’emploi féminin. »

Les femmes sont effet surreprésentées dans les contrats courts, l’intérim ou encore parmi les demandeurs d’emploi en activité réduite (appartenant aux catégories B et C, alternant contrats courts et périodes de chômage). Par ailleurs, près de 80 % des boulots à temps partiel sont déjà aujourd’hui occupés par des femmes, qui sont aussi plus nombreuses à signer des contrats aidés dans le secteur non-marchand (associations, collectivités territoriales).

« Or, les chances d’être embauchés en contrat stable après un contrat aidé sont nettement meilleures dans le secteur non-marchand et moins pour le non-marchand », rappelle Anouk Manez.

La réforme de l’assurance chômage pourrait exacerber ces inégalités sur le marché de l’emploi. Et inciter les femmes à accepter davantage de contrats à faible volume horaire.

« Le chômage conduit à l’acceptation d’emplois souvent déclassés », à des CDD ou encore à de l’intérim, note la psychologue du travail Dominique Lhuilier, auteure d’une étude qualitative sur la santé des demandeur.se.s d’emploi, également présente au Cese, le 11 juin. Et Claire Vivès de renchérir : « Les études montrent que la précarité agit davantage comme une prison que comme un tremplin. »

Par ailleurs, plus les femmes avancent en âge, plus elles revoient leurs exigences à la baisse. Une étude de l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (Anact) portant sur les plus de 50 ans montre ainsi que « les femmes seniors finissent par retrouver et/ou accepter un petit boulot, plus souvent que les hommes, ou bien basculent vers l’inactivité ».

Risque de dépendance économique

Problème supplémentaire, accepter un petit boulot ne suffira pas à sortir de l’ornière. Car contrairement au discours du Premier ministre qui veut que « le travail paye toujours plus », cet effort ne sera pas récompensé.

Même si une personne privée d’emploi parvient à travailler six mois d’affilée sur les 20 derniers mois, elle ne pourra donc plus accéder à l’indemnisation. Ce qui signifie, en somme, pour nombre de femmes qui travaillent en activité réduite, une bascule vers l’allocation de solidarité spécifique (ASS) ou du Revenu de solidarité active (RSA). De quoi amputer sérieusement leurs ressources financières.

La situation pourrait devenir dramatique pour les mères célibataires dont le nombre explose. « Quand on dit familles monoparentales, rappelle Dominique Lhuilier, c’est une façon de parler. Ce sont en fait des femmes seules avec enfants. » Ce qui est vrai dans 82 % des cas selon l’Insee qui chiffre le taux de pauvreté des femmes monoparentales à près de 20 % contre 7 % pour les familles en couple avec enfants.

Le fait d’être en couple n’est toutefois pas non plus un gage de sécurité, surtout avec la réforme. Car faute de pouvoir toucher une allocation de retour à l’emploi (ARE), la conjugalisation des autres prestations sociales porte, là encore, préjudice aux femmes :

« On sait qu’elles vivent davantage avec des hommes qui gagnent plus qu’elles ou qui sont emploi, reprend Anouk Manez. Or si les revenus des couples composés d’une femme qui pourrait prétendre au RSA ou à l’ASS et d’un conjoint en emploi dépassent le plafond de 953 euros pour le RSA et 2 091 euros pour l’ASS, la femme n’a plus droit à rien. »

En d’autres termes, en privant des femmes de leurs allocations chômage via le durcissement des conditions d’accès, la réforme risque d’aggraver leur situation de dépendance économique par rapport à leur conjoint. Et le passage au RSA est d’autant plus pénalisant que ce revenu ne permet pas de cotiser pour la retraite.

Parmi les femmes, ce sont d’ailleurs les seniors qui devraient pâtir tout particulièrement des nouvelles règles de l’assurance chômage, dont les effets sont amplifiés par la réforme des retraites de 2023. En plus de subir les mêmes difficultés que leurs cadettes (contrats courts, temps partiel, emploi de mauvaise qualité), elles devront les encaisser plus longtemps avant de partir à la retraite.

Et l’on sait enfin que l’allongement de l’âge de départ en retraite augmente le nombre de personnes « ni en emploi ni en retraite » (NER). Ainsi, « il faut s’attendre à un creusement d’une poche de précarité », résume l’économiste Michaël Zemmour.

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