Savoir et mouvoir
Ce n’est pas un scoop : notre planète va mal et nous, humains, en sommes les principaux responsables. Cela fait plus d’un demi-siècle que certains scientifiques tirent la sonnette d’alarme, comme le fameux rapport sur « Les limites à la croissance » des experts du Club de Rome, emmenés par les époux Meadows. Et pourtant nous continuons à agir individuellement et collectivement comme si de rien n’était – quand nous ne nous réfugions pas dans le déni pur et simple.
Est-ce par sentiment d’impuissance ? Par peur du (vrai) changement ? Ou pour d’autres motifs encore que nous avons du mal à cerner ? Ce qui est sûr, c’est que, loin du modèle de l’acteur rationnel cher à l’économie mainstream, les relations entre savoir et émotions sont complexes. Et c’est précisément cette relation qu’a voulu explorer le réalisateur Emmanuel Cappellin dans son premier film.
Tout commence durant ses études en sciences de l’environnement au Canada, lorsqu’il tombe sur le rapport du Club de Rome. Sans vraiment en avoir saisi, de son propre aveu, toutes les implications, Emmanuel Cappellin se tourne progressivement vers le cinéma et est recruté comme chef opérateur par Yann Arthus-Bertrand. Il réalise alors des centaines d’interviews aux quatre coins du globe et, pour éviter de prendre l’avion, s’embarque sur un gigantesque porte-conteneurs, symbole éclatant de l’inertie de notre modèle socio-économique, pour interpeller ses contemporains sur les enjeux écologiques. En vain à ses yeux, peut-être parce qu’il ne s’adresse ainsi qu’à notre raison. Or, c’est bien connu, le cœur a ses raisons…
De l’émotion à la mobilisation
Dans Une fois que tu sais, le jeune réalisateur s’efforce donc d’atteindre ses spectateurs en plein cœur. Non pas en les apitoyant, mais en leur faisant éprouver jusque dans leur corps les effets de la crise socio-écologique en cours. Cela passe par le fait d’assumer de se placer comme sujet à la première personne de son film – une ficelle Michael Mooresque désormais usée jusqu’à la corde –, mais qui s’avère particulièrement efficace. Les émotions et contradictions intimes que le cinéaste livre ici sans fard entrent ainsi en résonance avec celles de tout spectateur qui ne se serait pas trompé de salle, pour mieux les mettre à vif.
Loin de se poser en purs esprits, les experts qu’il interroge aux quatre coins du monde nous donnent à voir leur part sensible. On croise l’ingénieur médiatique Jean-Marc Jancovici, le non moins exposé collapsologue Pablo Servigne, ou encore le spécialiste de l’épuisement des réserves pétrolifères Richard Heinberg, qui explique pourquoi son épouse et lui ont choisi de ne pas avoir d’enfants, et que l’on suit dans un colloque guindé à Athènes où il donne l’impression de se sentir comme un manchot sur une banquise en fusion.
Citons également le Bangladais Saleemul Huq, membre du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) et spécialiste des stratégies d’adaptation qu’il met déjà à l’œuvre dans son pays progressivement inondé et qui est aussi à l’aise lors d’une grande conférence internationale que lors d’une discussion informelle avec des paysannes de son pays natal. La géographe Susanne Moser, enfin, mise sur la reconnaissance individuelle de notre fragilité pour nous inciter à adopter des solutions de résilience collective.
Ces portraits sensibles éclairent différents aspects de la crise en cours. Surtout, tout en éveillant ce vertige que l’on s’efforce de refouler au quotidien, ils ouvrent des pistes pour reprendre espoir et se mettre en mouvement.
« Une fois que tu sais », tu peux agir collectivement : tel est le message principal de ce film
« Une fois que tu sais », tu peux agir collectivement : tel est le message principal que porte ce film. Plutôt que de se replier sur soi ou se laisser submerger par l’angoisse et l’effroi, mieux vaut se regrouper pour réinventer ensemble un mode de vie moins toxique.
A l’image des habitants de Saillans, le village drômois où s’est installé Emmanuel Cappellin avec sa famille. Ils ont en effet décidé de lancer une expérience grandeur nature de la démocratie participative, mais aussi d’accueillir à bras ouverts les réfugiés arrivés devant leurs portes depuis le continent africain.
On voit également des militants d’Extinction Rebellion qui remettent au goût du jour la résistance non violente pour protester contre l’Ancien Monde énergivore. On pourra certes discuter çà et là certains points de leurs diagnostics, ou douter de l’efficacité de certaines actions, mais peu importe : ce qui compte, c’est de se mettre en marche, affirment à l’unisson les protagonistes d’Une fois que tu sais.
Ce qui est sûr, c’est qu’à l’instar des calottes polaires face au dérèglement climatique, ce film ne vous laissera pas de glace.
Une fois que tu sais, par Emmanuel Cappellin, en salles actuellement.
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