SHOWING UP
Kelly REICHARDT – USA 2022 1h48 VOSTF – avec Michelle Williams, Hong Chau, André Benjamin, Judd Hirsch… Scénario de Jon Raymond et Kelly Reichardt.
Du 31/05/23 au 13/06/23
Et Dieu pris la glaise et façonna l’homme à son image (était-ce bien raisonnable ?). Le point commun entre Dieu et Lizzie, sculptrice de talent ? La glaise bien sûr, qu’elle malaxe de ses mains, puis qu’il lui faudra cuire avec les aléas que cela représente pour une simple mortelle qui n’a pas de pouvoirs divins. Une simple bulle qui se dilaterait, emprisonnée dans la matière, et l’œuvre pourrait se fendiller, exploser…
Avec ses airs de femme-enfant mal dégrossie, sapée comme une ménagère fauchée en âge d’être grand-mère, ses éternelles pantoufles maronnasses au pied, Lizzie n’a pas les mêmes facilités que le Très Haut, ni même qu’un génie masculin plus facilement porté au pinacle. Elle ne fait pas partie de ces personnalités aux préoccupations égotistes, torturées. Sans grande reconnaissance sociale, nulle assistance pour l’accompagner, comme nombre d’artistes, elle ne connaît pas pour autant de grosse galère financière ou matérielle. Nul réel drame à l’horizon et jamais elle ne pourra se targuer d’avoir enfanté une œuvre dans la douleur. Non, ce sont les petits riens du quotidien qui semblent s’acharner, prendre une importance de plus en plus étrange et décalée, tout en restant complètement anodins. Mais peut-être Lizzie elle-même est-elle leur complice en ne les repoussant pas d’un revers de main, en leur laissant prendre leurs aises dans sa vie alors qu’elle est sur la dernière ligne droite pour préparer son prochain vernissage. La voilà de plus en plus bougonne, mal embouchée, comme effacée mais s’accrochant comme un parasite contrarié à son entourage désabusé. Nulle n’est prophète dans sa famille ni dans son pays, spécialement quand on est une femme, semble susurrer délicieusement chacune de ses avancées. On la sent un peu invisible, ou peut-être est-ce cela qu’elle ressent, comme étrangère au côté positif des choses, pétrie de stress, sans se l’avouer, et de contradictions par-dessus le marché. Alors elle peste plus ou moins ouvertement contre tout ce qui l’éloigne de son but, tout en acceptant pêle-mêle tout ce qui vient l’entraver : comme la responsabilité de ce maudit pigeon recueilli par sa voisine également artiste… Puis quand elle pourrait enfin s’en débarrasser, elle cherche à prolonger ce qu’elle déclarait être un calvaire !
Sans mot dire, un amusement s’installe. Pas celui d’une comédie hilarante, mais une fantaisie douce liée à cette ambiance ténue, nonchalante qui installe un état de grâce heureux, comme un miroir sans tain humoristique tendu au milieu artistique. Un plaisir discret mais croissant s’installe tandis que nous musardons autour des œuvres en création, dans les moments d’intimité entre les artistes et leurs réalisations. Car Lizzie n’est certes pas seule dans son univers ouaté et chacune comme chacun y prend une place simple, sans grande prétention, plus honnête sans doute que celle que l’on imagine dans les fantasmes liés au microcosme de l’art. Kelly Reichardt, avec tendresse, observe un milieu et de son regard complice déconstruit le mythe qui veut qu’une œuvre doive fatalement torturer ses créateurs pour pouvoir immerger. À quoi ça tient, la création ? Et c’est quoi, dans le fond, « être un artiste » ? Un drôle de truc qui vous tombe un jour dessus ou le fruit d’un travail acharné ? Quelle drôle de prétention de penser qu’on l’est plus que d’autres ? Quel drôle de constat de penser qu’on l’est moins que d’autres…
La réalisatrice ne banalise pas l’art, mais l’artiste, ses gestes inlassables, la fragilité des œuvres, les accidents qui les rendent imparfaites ou proche de la perfection. La folie si proche de la raison, la lucidité si proche de la déraison. La caméra contemple les gestes hypnotiques, cette alchimie mystérieuse qui nous fascine et nous réjouit.
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