Vers plus de mobilité sociale… des élites
Notre Ecole nationale d’administration (ENA) va donc être remplacée par un nouvel Institut du service public qui va regrouper une douzaine de pépinières à fonctionnaires. Pour permettre une plus grande ouverture sociale de l’école dont les enfants d’ouvriers ne représentent que 4 % des étudiants, soit à peu près le même niveau qu’en 1950 juste après la création de l’école ? Ce n’est a priori pas ce qui se dessine.
Le concours d’entrée restera sélectif et le rang de sortie déterminera toujours la carrière de nos hauts fonctionnaires. Certes, ils ne pourront plus intégrer les grands corps prestigieux – l’inspection des Finances, la Cour des comptes, le conseil d’Etat – dès leur sortie de l’école mais cinq ans après. Au lieu que leur diplôme leur offre une rente à vie à 25 ans parce qu’ils viennent du bon milieu social, ils hériteront de leur rente à 30 ans. Pas franchement révolutionnaire.
Une fausse réforme
Dans son discours du 8 avril sur le sujet, Emmanuel Macron a souhaité que l’école soit plus ouverte au monde académique et de la recherche. Mais sans rien dire sur la nécessaire diversité des points de vue : en économie, par exemple, ce n’est vraiment pas le cas où, pour reprendre l’expression des chercheurs Florence Jany-Catrice et André Orléan, la théorie mainstream abuse de sa position dominante.
Un autre point du discours a été peu commenté : la rigueur budgétaire souhaitée par Bercy ne s’appliquera visiblement pas à nos futures élites puisque le Président a indiqué son choix que les rémunérations de la haute fonction publique se rapprochent de celles du privé. De quoi permettre aux dirigeants du privé d’être tentés de rejoindre les postes de direction de la fonction publique. Si c’est l’objectif, pourquoi conserver une école de formation des fonctionnaires ?
Quel est le problème ?
Les débats autour de l’ENA suscitent les passions dans notre pays parce que domine le sentiment qu’il s’y forme des esprits prisonniers du même moule. La sélection des candidats y tend : dans sa copie d’économie, il faut analyser le sujet proposé et faire des recommandations de politique publique « opérationnelles », c’est-à-dire utiles pour le gouvernement en place. Si vous mettez dans votre copie qu’il faut augmenter les impôts sur les entreprises, aucune chance : Joe Biden serait retoqué ! Si vous suggériez en 2019 que le gouvernement devait faire des stocks de masques en vue d’une éventuelle pandémie annoncée par les scientifiques, idem.
Et le problème perdure ensuite : des anciens ministres, à l’image récemment d’Arnaud Montebourg, décrivent une administration arc boutée contre les choix politiques qui ne leur plaisent pas. Ils imposent selon lui « une idéologie dont l’idée-force est que l’Etat doit céder devant l’économie et la finance ». Défenseurs de la doxa économique du moment, ils offrent au moins un avantage : quand la doxa change, ils changent. Jusqu’aux années 1970, ils étaient plutôt keynésiens et on trouvait même quelques marxistes !
Face à une mobilité sociale en panne depuis les années 1970, la transformation de l’ENA ne paraît absolument pas une réponse adéquate
Autre problème, des recherches, à l’image de celles de Laurence Scialom sur les portes tournantes dans la finance, montrent que les allers et retours entre le public et le privé en font plus des promoteurs des intérêts privés que de l’intérêt général. Des enquêtes, comme celles de Laurent Mauduit de Mediapart, soulignent même que les liens incestueux entre le Trésor, les grandes entreprises et les banques d’affaires peuvent conduire à un affairisme d’Etat.
Tout cela étant dit, que l’on permette à un chroniqueur qui a côtoyé à la fois le monde d’une multinationale et celui de la haute fonction publique de préciser que j’y ai rencontré nombre d’énarques compétents et dévoués au service public. Même s’il m’est impossible de trancher pour savoir, avec Michel Audiard, que s’il y a des poissons volants, ce n’est pas la majorité du genre !
Les remèdes de Davos
Face à une mobilité sociale en panne depuis les années 1970, la transformation de l’ENA ne paraît absolument pas une réponse adéquate. La réponse politique jusqu’ici a été celle de la démocratisation scolaire. Une évolution aux effets positifs : il vaut mieux avoir un diplôme que de ne pas en avoir.
Pour autant, cela n’a pas mis fin à la ségrégation sociale. Pourquoi ? Selon les deux spécialistes François Dubet et Marie Duru-Bellat, on est passé du foot au tennis. Au début des années 1970, 20 % d’une classe d’âge avait le bac, une petite minorité jouait en première division, tous les autres en deuxième division. Désormais, 80 % d’une génération a le bac, on est passé au tournoi de tennis, tout le monde a le droit de se présenter. Mais on écrème à chaque tour : il faut avoir fait le lycée, le bon lycée, dans la bonne filière, rejoindre une filière qui débouche sur du travail, etc. La France reste le pays de l’OCDE où l’origine sociale a le plus d’influence sur les résultats scolaires.
Alors que faire ? Le rapport 2020 du Forum de Davos ouvre des pistes intéressantes. Ce document indique que des bas salaires, une faible protection sociale et l’accumulation des richesses font baisser la mobilité sociale. Il appelle à des politiques fiscales plus progressives, à donner de gros moyens au système éducatif et il réclame aux entreprises d’investir pour accroître le niveau de formation de leurs salariés, en particulier des moins qualifiés. C’est vraiment bête qu’Emmanuel Macron a séché le Forum de Davos l’an dernier…
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