XALÉ, LES BLESSURES DE L’ENFANCE
Avant première le lundi 1er avril à 20h30,
suivie d’une discussion en présence de Moussa SÈNE ABSA,le réalisateur du film.
Moussa SÈNE ABSA – SénégaL / Côte d’Ivoire 2022 1h41mn – avec Nguissaly Barry, Mabeye Diol, Rokhaya Diang, Ibrahim Mbaye… Scénario de Moussa Sène Absa, Pierre Magny et Ben Diogaye Beye.
Du 03/04/24 au 23/04/24
Ça commence comme une tragédie grecque : quelqu’un est tué, dans un acte où se côtoient la beauté et le sang. Étonnamment un chœur y fait écho. Puis flash-back pour retrouver dix ans plus tôt les protagonistes du drame : une caméra aérienne survole les rives des faubourgs de Dakar, au large de laquelle sont amarrées les célèbres pirogues bigarrées, image de carte postale mais aussi symbole de milliers d’espoirs noyés au fond de l’océan, autant de jeunes qui ont espéré l’Europe et qui pour beaucoup n’ont jamais atteint ses côtes. On arrive dans la famille de Awa, une jeune fille de 15 ans qui a une vie prometteuse : grandissant dans une famille aimante, elle est très complice de son jumeau Adama, elle est la première de sa classe et peut espérer un brillant avenir.
Mais des ombres semblent vouloir obscurcir ce destin : Adama, comme bien des jeunes de son âge, fait un petit boulot de vendeur ambulant pour économiser le pactole demandé par les passeurs pour faire le grand voyage vers l’Europe et un conflit familial va rendre la vie d’Awa de plus en plus impossible. Sur son lit de mort, la grand-mère d’Awa fait promettre à son oncle, le taciturne chauffeur de taxi Atoumane, d’épouser sa cousine, la belle Fatou, pour préserver la cohésion de la famille. Mais Fatou n’a aucun sentiment pour son époux et aime en secret un séduisant homme d’affaires. Les violences répétées d’Atoumane sur Fatou pèsent de plus en plus sur le quotidien d’Awa, qui assure des extras dans le salon de coiffure de l’épouse maltraitée. Sans compter que le sombre Atoumane voit du plus mauvais œil qu’Awa commence à fréquenter un garçon. Une situation qui va de mal en pis jusqu’à l’irréparable.
La grande force de ce troisième film de Moussa Sène Absa (méconnu du public occidental mais déjà un vétéran du cinéma sénégalais) est de dresser un portrait tout en subtilité de la société de son pays et de sa ville. Les hommes ne sont pas tous des suppôts du patriarcat, il y a des personnages masculins attentionnés et aimants, les femmes ne sont pas toutes des victimes fragiles… Il brosse également un portrait intelligent de cette jeunesse représentée par Adama, le jumeau d’Awa, qui n’est pas un être sans cervelle hypnotisé par des mirages de gloire, de football et de fortune, mais simplement un homme révolté par le peu de place que laissent aux jeunes les politiques au pouvoir et les aînés, des jeunes pour qui l’émigration est devenu malheureusement le seul maigre espoir.
Le film décrit, malgré les drames, une société somme toute douce et solidaire, tout particulièrement à travers le portrait des femmes, qui se lèvent face à leur destin trop écrit et face à la violence des hommes, que ce soit Fatou, mariée de force à un homme falot et violent, ou Awa, victime d’un fléau trop tu dans la société sénégalaise : les abus sur les jeunes filles au sein de la famille. Et c’est bien ce scandale de l’inceste, toujours tabou dans son pays, qui scandalise le réalisateur.
Au-delà de ce beau plaidoyer féministe, on louera aussi la mise en scène qui utilise, telles des respirations, ces chœurs chantés – tour à tour chœurs de femmes, de griots colorés ou de lutteurs aux corps huilés – qui commentent, jugent ou entravent la progression des personnages, notamment du sinistre Atoumane.
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