Congé paternité : 28 jours et après… ?
En cette saison de projets de loi de finance et d’arbitrages difficiles sur les dépenses sociales, le doublement de la durée du congé paternité fait presque figure de rayon de soleil. Comme l’a annoncé par le chef de l’Etat le 23 septembre dernier, il va effectivement passer de 14 à 28 jours à partir du 1er juillet 2021. La mesure a été confirmée dans le projet de de loi de finances de la Sécurité sociale présenté hier.
Toutes les modalités ne sont pas arrêtées, mais dans les grandes lignes on sait que les pères devront prendre, dès la naissance de l’enfant, sept jours obligatoires (le code du Travail prévoit 3 jours de naissance aujourd’hui) et pourront choisir ensuite la période pendant laquelle ils poseront les 21 jours restants. La question du fractionnement de ces congés n’est pas encore tranchée.
Cadres, pères en CDD et indépendants lésés
Du côté des employeurs, la situation ne devrait guère changer, hormis qu’ils devront s’assurer que les pères prennent bien cette semaine de congé obligatoire, sous peine d’une sanction de 7 500 euros. Pour le reste, les trois premiers jours consécutifs à la naissance demeurent à leur charge, comme actuellement, et les 25 autres jours à celle de la Sécurité sociale. Cette dernière calcule des indemnités journalières en fonction du salaire de base du père (brut), moins 21 % de forfait social, avec un plafond situé à 3 428 euros. Un salarié qui gagne 2 500 euros bruts par mois par exemple, recevra 60 euros d’indemnité par jour, celui qui perçoit 4 000 ou 5 000 euros bruts mensuels touchera 83 euros par jour.
Suivant cette logique, certains cadres bien rémunérés qui devront prendre une semaine de congé obligatoire après la naissance y perdront. On peut considérer que c’est peu cher payé au regard de l’implication et de l’attention que demande un nouveau-né. La question de l’indemnisation reste toutefois cruciale et fait encore partie des motifs qui dissuadent de trop nombreux pères de s’occuper pleinement de leur enfant. D’autant plus si le congé passe à 28 jours sans compensation salariale intégrale.
Pour pallier ce manque à gagner, certains accords de branche et d’entreprises assurent le maintien du salaire à 100%. Le groupe Kering propose 14 semaines de congé paternité intégralement rémunéré. L’assureur Aviva fait de même sur une période de 10 semaines. Ikéa propose cinq semaines quand Netflix fait rêver avec… 52 semaines !
Etre salarié en CDI est évidemment plus protecteur. Selon un rapport de l’Igas, un peu plus de six pères sur 10 prennent leur congé paternité. Mais on tombe à 48% pour les pères en CDD, qui redoutent souvent de ne pas voir leur contrat renouvelé ou qui ne peuvent pas se permettre d’y perdre financièrement. Pire encore : seuls 3 indépendants sur 10 choisissent de pouponner. A raison d’un forfait de 56 euros par jour, cela peut en effet décourager. Dans ces conditions, il n’est pas certain que le doublement du congé les incite à modifier leur comportement.
Pourtant, toutes les études le montrent – et les exemples des pères scandinaves sont là pour le prouver – plus les hommes sont impliqués à la maison, plus les inégalités entre les sexes diminuent, ce qui plaide pour rendre ce congé obligatoire. Sept jours de congé sur les 28, c’est donc un bon début mais il faut pouvoir articuler ce dispositif avec les trois ans de la petite enfance, les fameux « 1000 premiers jours de vie », nom de la Commission Cyrulnik qui réclamait dans son rapport remis au gouvernement neuf semaines de congé paternité.
Un congé parental à réformer
Car faute de trouver un mode de garde – on comptait 58,9 places pour 100 enfants en 2017 -, c’est encore massivement les mères, dont les salaires restent en moyenne inférieurs à ceux des pères, qui prennent un congé parental dans la foulée du congé maternité. En 2015, pour répondre aux demandes des associations féministes, des organisations syndicales et des parents eux-mêmes… le gouvernement avait décidé qu’une fraction de ce congé parental devait être prise par le père, sous peine d’être perdue. Efficace dans les pays nordiques, cette décision ne peut fonctionner que si l’indemnisation du congé parental est revalorisée.
En Suède, les parents peuvent se partager jusqu’à 480 jours de congé indemnisé à hauteur de 78 % de leur salaire pendant les 6,5 premiers mois. A contrario, en France, la Prepare est de 398 euros par mois
En Suède, les parents peuvent se partager jusqu’à 480 jours de congé indemnisé à hauteur de 78 % de leur salaire plafonné à 100 euros par jour pendant les 6,5 premiers mois, cette somme étant dégressive ensuite. A contrario, en France, la Prepare (Prestation Partagée d’Education de l’enfant), qui a remplacé le complément de libre choix d’activité (CLCA) depuis 5 ans, s’élève à seulement 398 euros par mois. Pour une première naissance, les parents peuvent chacun prendre un congé parental de six mois dans la limite du premier anniversaire de l’enfant. Dès le 2e enfant, chaque parent peut prendre 24 mois de congé jusqu’au trois ans du plus jeune des enfants.
Résultat, malgré cette volonté d’impliquer davantage les pères, la situation n’évolue guère. « En juin, 2018, les pères bénéficiaires d’un complément d’activité représentent 6 % des bénéficiaires, contre 5,1% en juin 2017. La proportion de pères reste néanmoins très faible au regard de la forte incitation au partage de la prestation depuis 2015 », note l’Observatoire de la petite enfance. Soit, en 2018, 17 700 pères en congé parental contre 275 440 mères…
Le gouvernement a fait un geste en doublant le congé paternité, dont le surcoût est estimé à 500 millions d’euros en année pleine pour la Sécurité sociale mais il reste 972 jours à réformer. Et ce sont ceux-là qui coûtent le plus cher. Ce qui explique que la France s’était opposée en 2018 à une directive européenne qui entendait harmoniser et revaloriser ce congé.
Laisser un commentaire