Pour Noël, 3 livres qui font vivre et voyager comme un diplomate
Bien évidemment, chacun d’entre nous aurait pu rivaliser en termes de destin et faire de sa vie une légende si la fatalité ne nous avait assignés à résidence et transformés en héros confinés sur canapé! Mais comme Romain Gary, nous n’avons pas renoncé à mettre du panache et des paillettes dans nos vies. La part de rêve, d’aventure et de résistance de nos existences passe aujourd’hui par la lecture, coronavirus oblige.
Voici donc trois livres pour voyager avec un passeport diplomatique, vivre comme un ambassadeur, et cela ne ressemble probablement pas à ce que vous imaginez.
Éditions La Martinière
“Sur la route des ambassades de France” de Virginie Broquet
C’est un ”émerveillement”, celui que l’autrice a éprouvé devant les lieux mythiques de la présence française à l’étranger et qu’elle donne à voir dans ce beau livre dont les dessins foisonnent de couleurs et de détails stupéfiants. Ce sont ces lieux qui nous représentent et que nous ne connaissons pourtant pas toujours: ambassades, consulats, résidences, établissements culturels. La “souris du Quai d’Orsay” qui se fond dans le décor pour mieux le saisir c’est elle, Virginie Broquet, une illustratrice originaire de Nice qui a travaillé pour Isabel Marant et réalisé en 2002 les vitrines de Noël du Printemps Haussmann à Paris. Elle est aussi la petite-fille de Léon Espérance Broquet, peintre aux armées qui croquait déjà sur le vif l’essence de l’engagement français.
Comme l’Américaine Emil Ferris, la célèbre autrice de BD encensée par Art Spiegelman, Virginie Broquet dessine au stylo bille, parce qu’elle veut capturer, en une heure ou deux, la vérité de l’émotion et de l’instant. Elle y ajoute des touches flamboyantes d’encres Sennelier pour donner au tableau les vibrations du vivant.
Son ambassade préférée? Celle de Bangkok, en Thaïlande, une demeure coloniale entourée d’un jardin splendide au bord du fleuve Chao Phraya où les bateaux défilent et les odeurs se mélangent. “Un endroit magique” selon elle, qui rappelle l’ambiance enivrante des romans de Marguerite Duras.
La Martinière
“Les saisons inversées” de Renaud S. Lyautey
Ambassadeur à Oman, il réalise un exercice rare: celui d’écrire un polar diplomatique au cœur du Quai d’Orsay dans lequel il imagine que l’un des plus hauts dignitaires du ministère est assassiné. Parce qu’on ne dévoile pas les arcanes de l’illustre maison sans montrer patte blanche, le service contentieux de l’institution a relu le livre avant parution et s’est assuré qu’aucun secret n’avait été révélé.
Renaud S. Lyautey déroule l’intrigue autour de deux épisodes légendaires de l’histoire diplomatique française. D’abord, l’opposition de Jacques Chirac et de Dominique de Villepin à l’intervention américaine en Irak en 2003. Le livre en donne une lecture iconoclaste, en rupture avec l’analyse unanimement positive que les médias ont relayée auprès du grand public. Ensuite, le coup d’État au Chili de 1973 au cours duquel le personnel de l’ambassade s’est montré héroïque en protégeant de nombreux réfugiés partisans du président renversé, le socialiste Salvador Allende. Au contraire de celle de Romain Gary, la mère de l’anti-héros qui mène l’enquête se désespère que son fils soit devenu fonctionnaire et ait épousé une si poussiéreuse carrière.
La diplomatie fabrique des gens très aiguisés. Et puis il y a aussi tout un peuple de gens au Quai d’Orsay qui sont un peu désaxés, car c’est un métier qui vous cabosse.
“C’est un métier, la diplomatie, qui fabrique des gens très aiguisés, extrêmement habiles, rapides. Et puis il y a aussi tout un peuple de gens au Quai d’Orsay qui sont un peu décalés, un peu fatigués, un peu désaxés, car c’est un métier qui vous cabosse, qui vous fait traîner vos guêtres dans des endroits où vous n’avez pas prévu d’aller, des endroits difficiles” raconte l’auteur dans un entretien sur son livre filmé par la librairie bordelaise Mollat. “Ce sont des hommes et des femmes différents de ceux que vous êtes amené à rencontrer d’habitude”, explique-t-il. Un roman inédit et captivant.
Éditions Points
“Affaires urgentes – Scènes de la vie diplomatique” de Lawrence Durrell
Adieu glamour et distinction, les soirées de l’ambassadeur enchaînent gags décapants et drôles de quiproquos. Les incidents culturels mémorables sont légion et le temps de l’administration est affreusement long. Loin d’être courtisés, les diplomates se retrouvent coincés dans une micro-société aux allures de prison dorée. Car ces péripéties se déroulent au début des années 1950, durant la guerre froide: la Yougoslavie appartient au bloc communiste et le personnel de l’Ambassade britannique de Belgrade incarne “l’ennemi” que la population n’a pas le droit de fréquenter.
En terrain si hostile, restent l’humour et l’alcool aux diplomates anglais. Autrement dit, “la Carrière”, ce mot employé avec emphase par les diplomates français pour désigner leur métier, requiert avant tout ce qu’on ne vous dit jamais: un foie à toute épreuve et des nerfs d’acier. Lawrence Durrel fait un portrait acide des misères plutôt que des splendeurs des ambassadeurs, et en tire une leçon dans le plus pur pragmatisme anglo-saxon: “Dans la diplomatie, il s’agit si souvent de sauve qui peut!”
Appréciant ce classique satirique qu’il compléterait par “La constance du jardinier” de John Le Carré, l’ancien ambassadeur britannique en France, Julian King, témoigne auprès du HuffPost: “Les diplomates britanniques aiment penser qu’ils sont réalistes et obstinés et que les Français sont trop idéalistes, mais l’expérience m’a montré que c’est souvent l’inverse!”.
Déroutante et insaisissable, la diplomatie n’a pas fini d’être l’inépuisable carburant de la littérature et de nos fantasmes.
Robert Laffont Pavillons Poche
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