THE SURVIVAL OF KINDNESS
Écrit et réalisé par Rolf DE HEER – Australie 2022 1h36mn – avec Mwajemi Hussein, Deepthi Sharma, Natasha Wanganeen, Darsan Sharma…
Du 13/12/23 au 02/01/24
Au milieu d’un désert aride, sous un soleil de plomb, une femme est abandonnée dans une cage de fer. Déterminée à vivre, elle parvient à s’en échapper. Elle marche à travers les dunes, les ruines d’un monde en désolation, gravit la montagne et arrive en ville. Une odyssée qui la mène jusqu’aux frontières de l’humanité…
Depuis le touchant Charlie’s country (avec l’emblématique acteur aborigène David Gulpilil, malheureusement décédé depuis) il y a dix ans, Rolf de Heer s’était fait discret. Avec The Survival of kindness, il nous rappelle à quel point il est un des cinéastes les plus passionnants de ces quatre dernières décennies : visionnaire, ambitieux et farouchement indépendant.
Relevant à la fois du genre post-apocalyptique, du survival, de la fable politique et du récit picaresque, ce nouveau film pourrait être à la fois la quintessence de ses thèmes de prédilection et un rappel de la vivacité du cinéma australien. Le personnage de BlackWoman, sortie de sa cage pour découvrir le monde, fait clairement écho à Bad Boy Bubby (1993), son autre chef-d’œuvre, tout en rappelant le Candide de Voltaire, et le réalisateur filme le désert et la nature comme personne (Dingo, The Tracker), à tel point qu’on finit par se demander si l’on n’a pas rêvé ce que l’on voit et que l’on entend. Dans cette odyssée, l’héroïne va autant être confrontée aux maux de l’histoire australienne, à l’exclusion, au racisme et à l’inhumanité du colonialisme, dans un contexte pandémique qui semble n’atteindre que l’homme blanc ne pouvant subsister que par le port du masque à gaz, comme jadis la mère de Bubby. Entre un absurde beckettien et une poésie élégiaque, le film en revient au sujet principal du cinéaste : la réflexion sur le langage.
Ce voyage, menant des premiers signes de vies aux villages-fantômes et à une cité construite autour d’une usine, ne bouleverse pas que par son propos universel ou par sa violence hallucinée, parfois macabre et digne d’un roman de Cormac McCarthy, mais aussi par sa forme. Mêlant le macro et le micro, Rolf de Heer peut nous montrer des batailles de fourmis, dans des plans évoquant le Phase IV de Saul Bass, tout en s’aventurant dans des paysages à la profondeur infinie, écrasés par un soleil qui pourrait tout faire paraître pour un mirage. On pense à Walkabout de Nicolas Roeg ou encore à Mad Max. Mais où sommes-nous vraiment ? Dans quelle temporalité et dans quelle réalité ? La science-fiction, genre que le cinéaste a déjà exploré deux fois (Encounter at Raven’s Gate, 1988, et Epsilon, 1997, tous deux inédits en France) se teinte de parabole philosophique et accentue le mystère, alors que le spectateur est émerveillé par ce tour de force visuel.
Tourné en décors naturels dans quarante-sept lieux différents, avec un tout petit budget et une équipe très jeune, The Survival of kindness est né d’un projet sur l’impact de la colonisation en Australie avant que l’actualité du Covid et du mouvement Black Lives Matter n’affecte le réalisateur pour qu’il revoie son scénario. En découle un film de résistance, magnifié par l’interprétation de la nouvelle venue Mwajemi Hussein, et une expérience sensorielle comme on n’en voit que trop rarement. Précieux. (Maxime Lachaud, journaliste, écrivain, essayiste)
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