BATIMENT 5
Ladj LY – France 2023 1h40mn – avec Anta Diaw, Alexis Manenti, Aristote Luyindula, Steve Tientcheu, Aurélia Petit, Jeanne Balibar… Scénario de Ladj Ly et Giordano Gederlini.
Du 03/01/24 au 16/01/24
« Et toi comment tu te définirais ? Je suis une Française d’aujourd’hui. » (Dialogue du film)
En 2019, alors qu’au cours des deux années précédentes, les violences policières avaient plus que jamais endeuillé les quartiers populaires, un film choc marquait le public et faisait l’effet d’une déflagration, autant cinématographique que politique : réalisé par Ladj Ly, cinéaste ayant grandi à Clichy-sous-Bois – ville tristement célèbre pour la mort des jeunes Zyed et Bouna, électrocutés dans un transformateur suite à une poursuite policière – Les Misérables évoquait frontalement les conséquences catastrophiques sur un quartier d’une bavure policière et avant cela d’années de discriminations et d’humiliations subies par les jeunes. Un film à la mise en scène impressionnante et à l’impact évident, qui allait rafler 4 César et attirer plus de 2 millions de spectateurs.
Ladj Ly revient sur les lieux qu’il connaît le mieux, les quartiers populaires, mais avec un angle différent, et en terrain a priori anonyme puisqu’il invente une ville fictive dans laquelle tous les habitants des quartiers pourront néanmoins reconnaître leur réalité.
Le titre, Bâtiment 5, fait directement référence à l’immeuble dans lequel Ladj Ly a grandi, mais il parlera à toutes et à chacun tant la réalité que décrit le cinéaste se répète malheureusement partout dans l’hexagone. Haby est une jeune militante associative qui, dans un quartier où de nombreux habitants vivent en dessous du seuil de pauvreté, où la vétusté des locaux et les pannes d’ascenseur à répétition pourrissent la vie des gens, où les services publics sont en déshérence, tente d’améliorer l’ordinaire de chacun, entre aide juridique et soutien matériel si besoin, auxquels s’ajoute la naturelle solidarité des gens de peu. Quand elle apprend que la mairie, désormais aux mains – par des jeux politiques aberrants – d’un pédiatre inexpérimenté, a décidé de procéder à une « rénovation » qui déguise en fait, sous prétexte d’insalubrité, une gentrification et l’expulsion des habitants les moins aisés, elle décide de s’engager en politique face au maire.
Porté par une mise en scène puissante (la séquence de destruction d’immeuble, dès le début du film, donne le ton), Bâtiment 5 réussit à la fois à décrire avec un réalisme saisissant tous les aspects, jusqu’aux plus infimes, de la vie des quartiers délaissés et à dresser un magnifique portrait de femme – alors que, on s’en souvient, Les Misérables décrivait un monde quasi-exclusivement masculin. Réalisme saisissant avec cette scène génialement interminable qui montre un cortège funéraire contraint, faute d’ascenseur, de descendre un cercueil sur une dizaine d’étages. Réalisme saisissant dans la description de Roger Roche, l’adjoint magouilleur et corrompu qui a su infiltrer les arcanes du pouvoir mais échoue à devenir maire… tout simplement parce qu’il est Noir ! Réalisme saisissant quand est épinglée la charité sélective du maire qui se mobilise, c’est tout à son honneur, pour un couple de réfugiés syriens… mais qui est incapable d’empathie envers les malheurs de ses administrés de la cité à détruire. Et au milieu de tout ça, la jeune Haby, formidablement interprétée par la révélation Anta Diaw, prend la dimension d’une héroïne de tragédie contemporaine, femme tenace de vertu et de dignité qui s’oppose au pouvoir inique tout en refusant de se laisser gagner par la colère qui embrase le cœur de son frère. Porté par un souffle digne d’une tragédie, le film pose ses protagonistes comme des héros de Sophocle. Face à l’inéluctable écrasement du peuple, le destin des personnages va s’accomplir.
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