CONANN
Écrit et réalisé par Bertrand MANDICO – France 2023 1h45mn – avec Elina Lövensohn, Christa Théret, Julia Riedler, Claire Duburcq, Nathalie Richard… D’après le roman de Robert E. Howard.
Du 27/12/23 au 16/01/24
Bertrand Mandico est un artisan-cinéaste, il façonne et construit depuis plus de vingt ans une œuvre passionnante, dérangeante, hors des sentiers battus. Après une multitude de courts et deux longs métrages, dont le remarqué Les Garçons sauvages, il nous livre ce foisonnant Conann, sans doute son film le plus abouti. On connaît le personnage de Conan le Barbare, incarné à l’écran par le monsieur muscle Arnold Schwarzenegger filmé par John Milius et Richard Fleisher. On sait moins qu’il a été créé par l’écrivain Robert E. Howard, dont les histoires ont été initialement publiées dans les pulp magazines américains au début des années 1930. C’est un des récits qui a fondé le genre de l’heroic fantasy, ensuite largement popularisé par Tolkien et son Seigneur des anneaux. Mais Mandico n’a repris que l’univers et le nom du personnage principal (avec un « N » supplémentaire comme chez les celtes) puis s’est plongé aux origines mythologiques du genre pour se placer aux antipodes du personnage sculptural, viril et testostéroné personnifié par Schwarzenegger, et en tirer un film féministe sans concession. Le personnage de Conann la Barbare étant interprété par six actrices à différents moments de son existence. Mandico a d’abord pensé ce projet comme une pièce de théâtre qui devait être jouée aux Amandiers de Nanterre. Mais comme beaucoup de spectacles montés pendant la période Covid, il n’a pas été représenté – même s’il en existe une version filmée qui a déjà un titre, La Déviante comédie, que Mandico montrera sans doute un jour…
« Vous allez voir la barbarie. Que le spectacle commence ! » Le film s’ouvre avec cette prophétique proclamation, depuis les Enfers où une vieille femme ayant tout oublié est confrontée aux souvenirs de son passé. Et c’est en compagnie du chien des enfers Rainer (référence explicite au cinéaste allemand Fassbinder), équipé d’un appareil photo révélateur tout autant que voyeur, que nous allons remonter le temps. Depuis son enfance, esclave de Sanja et de sa horde barbare qui ont trucidé sa mère, jusqu’à son accession aux sommets de la cruauté aux portes de notre monde. Après avoir scellé un pacte faustien, Conann enchaînera les incarnations, à chaque fois assassinée par sa version plus âgée, prenant goût au meurtre, devenant toujours plus démoniaque et froide, massacrant à tour de bras. Rainer nous plonge dans les abîmes et raconte les six vies de Conann, perpétuellement mise à mort par son propre avenir, à travers les époques, les mythes et les âges. Elina Löwensohm, muse de Mandico, méconnaissable sous ce masque de canidé, est donc notre guide dans cette épopée au romantisme macabre. Pas de hasard ici, puisqu’en effet dans toutes les mythologies, le chien est celui qui fait passer dans l’autre monde.
Tourné intégralement en studio, le film est transcendé par la puissance visionnaire de Mandico, son art du décor foisonnant : son imaginaire navigue entre un New York des années 90, un temple antique démesuré, des champs de batailles avec un damier surréel, un petit lac d’un autre monde ou un bunker englouti. Le travail sur la texture de l’image est également fascinant : Mandico a tourné en pellicule 35 mm, quasiment intégralement à la grue et sans aucun ajout numérique, tout ce qu’on voit à l’image est encore une fois un véritable travail artisanal.
Le cinéma de Mandico est évidemment nourri de références, on pense à la littérature de Lovecraft, à Orphée de Cocteau ou Lola Montes d’Ophuls. Mais au-delà de sa saisissante imagerie fantastique, le film parle de cruauté, d’opportunisme et de la manière dont on tue ses idéaux. Et in fine, Conann apparaît comme une critique non dissimulée du capitalisme morbide et de la corruption qui prennent leurs racines dans la vieille Europe.
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