L’HOMME D’ARGILE
Écrit et réalisé par Anaïs TELLENNE – France 2023 1h34mn – avec Raphaël Thiéry, et Emmanuelle Devos, Mireille Pitot, Marie-Christine Orry…
Du 21/02/24 au 12/03/24
C’est avant tout la rencontre de deux personnages, de deux acteurs et de deux corps qu’a priori tout oppose, dans le cadre de ce qui pourrait être un conte ancré dans un terroir peu fréquenté – si ce n’est par les randonneurs l’été – : le Morvan. Un conte avec sa dose de mystère et de magie, comme le suggère le dessin enfantin d’un château de princesse qui ouvre le film. Un château laissé sinon à l’abandon, du moins dans un profond sommeil, que surveille néanmoins un homme à tout faire, Raphaël, au physique singulier, carrure et bedaine d’ogre ou de troll des légendes germaniques. Mais c’est son visage, massif, taillé à la serpe et marqué par un œil mort, qui impressionne au premier abord. L’homme bientôt sexagénaire mène dans une dépendance voisine une existence simple voire austère, auprès d’une mère très intrusive qui lui laisse peu de liberté. Ses seules échappatoires sont des rituels sexuels joyeux et gentiment masochistes dans la forêt voisine avec la factrice locale, proche depuis toujours de la famille. On a l’impression que cette existence pourrait perdurer des années, immuable, si, par une nuit pluvieuse, Raphaël n’était réveillé par une voiture klaxonnant obstinément. Garance, la séduisante châtelaine qu’il n’a semble-t-il pas revue depuis des années, est revenue.
Garance est une artiste plasticienne mondialement connue, notamment pour ses installations parfois provocatrices (elle a exposé en suspension des dizaines de flacons de ses larmes et figuré nue dans la vitrine d’une boucherie, tel un bœuf prêt à être découpé). Et il se trouve que Garance a décidé de reprendre possession du château pour retrouver l’inspiration.
Fasciné par sa libre, belle et mystérieuse patronne, Raphäel va finir par découvrir qu’elle a réalisé de nombreuses esquisses de lui et qu’elle prépare même une statue de glaise à son effigie… Touché et rendu fier par l’intérêt artistique que lui porte Garance, Raphaël ne va-t-il pas surinterpréter ses sentiments pour lui ? Compliqué il faut bien le dire pour ce vieux garçon – dont la vie sentimentale est tout sauf épanouie – de ne pas se laisser tourner la tête quand son artiste de patronne le fait poser quasiment nu ou modèle son corps avec l’argile… même si les visites de proches de Garance, tous issus du milieu de l’art parisien et méchamment condescendants envers lui, vont doucher partiellement ses espérances.
Le film d’Anaïs Tellenne valorise magnifiquement ces deux grands acteurs que sont Emmanuelle Devos, tout en finesse et ambiguïté, et le très singulier Raphaël Thiéry, d’une intensité impressionnante – l’acteur, encore inconnu il y a peu, a été révélé par le beau film de Pietro Marcello, L’Envol, dans lequel il incarnait un ébéniste revenu de la Première Guerre Mondiale.
Tout en réinventant intelligemment le mythe magnifié par Cocteau dans La Belle et la Bête, Anaïs Tellenne compose un conte rural et magique, parfois cocasse comme un film d’Alain Guiraudie (qui donna un de ces premiers rôles à Raphaël Thiéry) et baigné d’une poésie qui doit beaucoup aux paysages et aux traditions – notamment musicales : Raphaël joue magnifiquement de la cornemuse ! – du Morvan.
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